Laurent Puech est vice-président de l’ANAS, l’association nationale des assistants de service social (photo : ANAS).
Le Canard Social : L’Anas a fait appel à un juriste pour préciser le droit applicable aux professionnels soumis au secret. En quoi est-ce une question d’actualité ?
Laurent Puech : On fait face à plusieurs demandes. L’une traditionnelle et extérieure à nos services : dans le cadre d’enquêtes de police, les professionnels sont sollicités pour apporter un témoignage. L’autre demande est une nouveauté. Elle émane de nos hiérarchies qui invitent ou incitent à révéler les situations de fraude. On peut penser que les élus exercent aussi une pression. Contrairement au RMI, le RSA est versé en totalité par le conseil général. Sa mise en place a donc incité l’institution à faire baisser le nombre des fraudeurs.
LCS : A qui s’adresse cet avis ?
Laurent Puech : Il s’adresse à tous les professionnels. Tous les assistants de service social (AS) mais aussi les travailleurs sociaux soumis au secret professionnel par leur mission. Au cas par cas, cela concerne certains éducateurs, certaines conseillères en économie sociale et familiale et plus généralement les médecins ou les sages-femmes. Parce qu’il touche tous les professionnels, l’avis circule énormément. On l’a mis sur notre site et diffusé à l’ensemble de nos adhérents, c’est-à-dire près de 1200 professionnels. Et il a été repris par des organisations syndicales.
LCS : En quoi dénoncer des fraudes est incompatible avec la mission d’un travailleur social ?
Laurent Puech : L’objectif d’un professionnel est de créer un espace de sécurité et un climat de confiance pour avoir tous les éléments d’une situation et travailler sereinement avec une personne. L’usager doit pouvoir révéler ses problèmes sans crainte. C’est donc un mensonge de dire « Faites-moi confiance » et une fois le rendez-vous terminé d’aller dénoncer un éventuel délit commis.
LCS : La dénonciation est une impasse…
Laurent Puech : Si on tarit la source en la dénonçant, le problème ne sera plus révélé, on fera semblant de le régler. C’est dangereux au niveau sociétal. Si une mère, inquiète de la consommation de shit de son fils, ne peut plus se confier, on s’expose à laisser son fils en difficulté et avoir une conduite plus grave. Et c’est pareil chez le médecin, si des patients n’osent plus révéler certaines pathologies.
LCS : Quel est l’enseignement général de cet avis ?
Laurent Puech : D’abord, il n’y a aucune obligation ni autorisation à dénoncer une fraude. La loi sur le secret professionnel protège de manière très forte le travailleur social. Il n’y a aucune obligation non plus de dénoncer un crime ou un délit dont on aurait appris l’existence lors d’un entretien. Un professionnel est autorisé à dénoncer un crime ou un délit dans l’intérêt de protéger une personne très fragile. C’est le cas notamment lorsque ce crime ou délit a un impact sur des enfants, sur certains adultes dans une situation de fragilité extrême ou des personnes en dépression très forte. Enfin, le professionnel a une obligation de révéler une information seulement dans le cas où un événement grave et certain va survenir de manière imminente. S’il y a ce qu’on appelle une situation de péril.
LCS : Quelle peine encourt un professionnel qui viole le secret ?
Laurent Puech : Un an d’emprisonnement et 15000 € d’amendes.
LCS : Comment agir en cas de doutes sur la levée du secret professionnel ?
Laurent Puech : Le secret ne peut jamais être levé par le choix du professionnel ou une décision de l’usager. Sa levée est autorisée par la loi, sinon, il s’agit d’un délit. Chaque fois qu’il paraît pertinent pour un professionnel de révéler une information, il lui appartient donc d’en discuter avec un pair ou une autorité de service. Ceci afin d’éviter la toute puissance du professionnel qui ne doit pas se laisser aller à une dimension affective.
LCS : Qu’attendez-vous de cet avis ?
Laurent Puech : On espère que les professionnels en manque de repères vont pouvoir se repositionner. On a voulu redire les choses, c’est au professionnel de les faire valoir maintenant face aux demandes de l’institution. Des demandes orales et jamais écrites parce que les institutions le savent, la dénonciation n’est autorisée que dans un nombre très limité de cas.
Propos recueillis par David Prochasson
Télécharger l’avis technique sur le site de l’Anas :
www.anas.fr