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«Ne pas considérer les Roms comme un peuple à part»

(Photo : F. Lossent)

Entretien avec Samuel Delépine, Maître de conférence en géographie sociale à l’Université d’Angers. Enseignant-chercheur à l’IUT Carrières sociales de Cholet, il fait partie du centre de ressources en ligne Urba-Rom. Avec d’autres chercheurs, il souligne les limites de certaines politiques publiques menées en direction des Roms-Tziganes basées sur des stéréotypes. Il prône une approche plus fine des familles sur le terrain, ménage par ménage, pour proposer des réponses plus efficaces. Samuel Delépine est par ailleurs membre du collectif Romeurope. 


Le Canard Social : En tant que chercheur, vous vous interrogez sur la « question Roms », de quoi s’agit-il ?

Samuel Delépine : «Ce qui est appelé aujourd’hui le « problème Roms » ou la « question Roms », s’est révélé dans les années 90 après la chute du mur de Berlin. Tout d’un coup, on s’est rendu compte qu’il existait à l’Est une minorité très paupérisée, voire misérable, et qu’il fallait faire quelque chose. Deux programmes européens ont alors été lancés. Un programme de lutte contre les discriminations envers les Roms, et celui là il faut le poursuivre. On a lancé un autre programme sous forme de fonds injectés pour financer le logement, la santé, l’emploi, la scolarisation des Roms.  C’est cette approche purement ethnique en direction des Roms qui pose question aujourd’hui. Et on sait ce qu’elle cache : la méfiance envers les populations de l’Est de l’Europe, en particulier les Roumains.»

Le CS : Pourquoi dénoncer des « politiques publiques globales » destinées aux Roms migrants ?

SD : «En 2010, il faut se poser la question de l’efficacité et de la pertinence d’une approche fondée sur des stéréotypes. On ne peut pas considérer les Roms comme un peuple à part, comme une nation. Pour nous, chercheurs réunis au sein d’Urba-Rom, ce n’est pas une question qui ne peut être qu’ethnique. Les Roms sont très différents les uns des autres. Il faut s’intéresser aux gens, aux individus. 

On a des images de représentation qu’on n’arrive pas à transpercer. La plus grave c’est l’idée du peuple pauvre qui n’en est pas un. Il est très dangereux de faire de la pauvreté des Roms une caractéristique culturelle. Et jusqu’au niveau associatif, parfois, on en arrive à maintenir cette approche généraliste qui entretient l’idée que Roms égal pauvre.»

Le CS : Vous même avez changé d’avis sur cette approche…

SD : «Je reconnais que j’ai changé de regard. Au début des années 2000, j’étais enthousiasmé par cette idée de grande minorité européenne, supra nationale. Les Roms, « fils du vent ». Et j’en suis revenu, parce qu’on se trompe en raisonnant comme cela.»

 

Le CS : Alors, selon vous, quelle posture faut-il avoir vis à vis des familles Roms qui s’installent en France et dans l’Ouest ?

SD : «Ceux qui sont venus ici sont des migrants comme n’importe quels autres migrants. Cette caractéristique «Roms» qui est mise en avant, on ne peut pas la négliger, mais je pense qu’on devrait avant tout les considérer comme des migrants de l’Union Européenne.

Le mot le plus important, c’est la diversité des familles. La plupart sont venues ici pour accéder à un « vivre mieux », pas toujours en raison de persécutions en Roumanie. Certaines viennent pour des raisons économiques, pour gagner un peu d’argent par le biais de la récupération de ferraille par exemple. Mais d’autres familles, issues parfois du même village en Roumanie, ont une autre motivation pour s’installer dans notre région : soigner ou scolariser les enfants.

A première vue, on voit arriver des Roms qui ont l’air de tous se ressembler, mais individuellement ils n’ont pas les mêmes objectifs, ni les mêmes besoins. Pour accompagner, proposer des solutions adaptées, cela suppose une approche plus fine sur le terrain et c’est plus difficile, notamment pour les travailleurs sociaux.»

Le CS : C’est ce que vous dîtes à vos étudiants ?

SD : «Oui, dans mes interventions auprès de futurs travailleurs sociaux, je leur dis qu’il ne faut pas faire d’approche purement ethnique. Il est essentiel d’avoir une connaissance des éléments de contexte des Roms : le contexte local du pays d’émigration, le contexte politique, social, les raisons de la circulation migratoire. C’est déterminent pour ne pas se tromper par rapport à un individu ou une famille qui rencontrent des problèmes. Il n’y a pas de solution toute faite pour les Roms ou les tziganes.»

Le CS : «Pas de solution toute faite», et pourtant il faut bien trouver des moyens d’action publique ?

SD : «Les solutions ne viennent pas du niveau national, mais du niveau local. Ce sont les collectivités locales qui ont les moyens d’améliorer les choses. Et il n’y a qu’elles parce que l’Etat ne fait pas son travail. Mais les collectivités locales sont livrées à elles mêmes… Et il arrive que les solutions envisagées reposent sur un mauvais aspect de la prise en compte de la diversité des Roms.

En Région parisienne par exemple, il existe des villages d’insertion, des terrains conventionnés comme dans l’agglomération nantaise. Le problème c’est la sélection des familles qui y sont accueillies puisqu’on crée des espaces uniquement sur des critères ethniques sans aller assez loin dans le détail. Et l’intégration ne marche pas toujours comme on le voudrait…

En tout cas, cela reste très difficile pour les collectivités. Un groupe de migrants qui arrive tout d’un coup dans une commune, c’est difficile à gérer.»

Le CS : Pour vous, quelle est la priorité pour favoriser l’intégration ?

SD : «En attendant la fin du régime transitoire qui restreint l’accès des Roms à l’emploi, le plus urgent, c’est la scolarisation. Si on ne fait rien dans ce sens, il y a des générations de parents qu’on ne sortira pas de l’assistanat.

L’enjeu numéro un, c’est donc l’école. Faire en sorte d’aller au moins jusqu’au collège. Et il est clair que les associations et les enseignants jouent bien le jeu. Mais cela se heurte aux expulsions décidées sous prétexte de l’application de la loi. Des expulsions permanentes qui font que la scolarisation durable est difficile ou impossible. Avec les expulsions, on se retrouve avec des familles contraintes à la mobilité, et non pas des familles mobiles comme le veulent certains clichés.

Cela oblige à s’inscrire dans le moyen terme. Les politiques sont surpris par la ténacité des familles à rester dans des conditions précaires. Et il y a souvent une confusion quand certains pensent que les familles se complaisent dans cette situation, alors qu’elles sont en fait dans une logique de survie permanente.

Une chose est sûre : bien souvent, on confond logique de survie et mode de vie. S’il y a absence de volonté politique pour l’intégration, on va maintenir les familles dans les bidonvilles. Et dans ce cas, les logiques de survie vont prendre le pas sur le reste.»

Le CS : Des élus locaux qui ont fait des efforts pour l’accueil et l’intégration de Roms redoutent un afflux de nouveaux migrants et parlent d’un possible « appel d’air ». Vous les comprenez ?

SD : «La théorie de l’appel d’air : ça n’a pas été constaté au niveau national. L’appel d’air n’a jamais eu lieu en France. On estime qu’il y aurait 10 000 Roms dans notre pays… On a finalement très peu de migration. Ce n’est pas un argument. On est loin d’une migration massive, même si les Roms comptent pour la moitié des chiffres d’expulsion parce que la politique basée sur les expulsions est très dure envers les Roms en France.»

Le CS : Comment expliquez-vous les réactions suscitées par la présence de familles Roms dans notre région ? Par exemple, dans l’agglomération nantaise où l’on parle d’un millier de personnes venues s’installer ces dernières années…

SD : «Pour Nantes, j’ai plutôt en tête le chiffre de 700 personnes…

En fait les Roms sont visibles mais peu nombreux, et cela tient à leurs pratiques de survie parfois choquantes comme la mendicité dans nos centres ville.

Encore une fois, il est clair qu’on se heurte à des barrières dans l’inconscient collectif : les tziganes seraient pauvres par nature, ils auraient une certaine idée de la liberté. Et lorsqu’ils se sédentarisent et qu’ils deviennent riches, ils perdraient leur identité… Dépasser ces barrières de l’inconscient collectif, c’est extrêmement difficile parce que ce sont des perceptions qui ont fait leur chemin parmi les Roms eux mêmes. Il y a parfois un complexe d’infériorité qui leur fait dire « Nous, on n’a pas à demander quelque chose, on nous accepte, ce qui est déjà beaucoup».

D’ailleurs, on voit bien que certaines familles jouent une carte plus individuelle. Dans le sud du Maine et Loire par exemple, des familles Roms se sont installées à l’écart des communautés. En milieu rural, dans des habitations diffuses, on les voit beaucoup moins que dans les zones urbaines. On pourrait parler d’une stratégie d’invisibilité, une manière d’échapper aux politiques globales qui leur sont destinées.»

Propos recueillis par Frédéric Lossent


Article publié le : le 14 avril 2010
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