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La beauté sous l'angle de la cécité
Publié le 14/04/2010
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reportage
Un photographe de Saint-Sébastien-Sur-Loire (Loire Atlantique) a laissé carte blanche à des personnes aveugles pour photographier la beauté. Il en ressort des clichés d'une grande poésie.

Le photographe Cédric Nicolas avec l'un des photographes non voyants. (photo : Florence Scolaro)

«L’idée peut paraître loufoque mais elle ne l’est pas du tout », sourit Cédric Nicolas, réalisateur et photographe (1). Ce professionnel de 34 ans, basé à Saint-Sébastien-sur-Loire, travaille depuis deux ans sur un projet singulier baptisé « Né…cécité ». Il a consisté à demander à huit personnes mal ou non voyantes de prendre elles-mêmes des photographies, en vue d’une exposition. «Tout est venu d’une conversation sur la beauté et les codes esthétiques qu’on nous impose, raconte l’artiste. Or, les personnes mal voyantes ne sont pas formatées et j’ai voulu connaître leur vision des choses, en leur demandant de photographier ce qui leur semblait beau».

Après avoir contacté l’association Handisup et l’institut des Hauts Thébaudières, à Vertou (Loire-Atlantique), qui accompagne les personnes connaissant une grave déficience visuelle, Cédric Nicolas a réuni huit volontaires. «Je n’ai essuyé aucun refus», s’étonne-t-il encore. Munis de Polaroïd, des appareils simples à utiliser, les huit photographes en herbe ont été chargés de prendre dix photos sur un sujet de leur choix, avec ou sans accompagnateur. Anthony Penaud, 36 ans, est aveugle depuis la naissance. «Au début, j’étais intrigué par cette proposition, confie-t-il. Mais j’ai trouvé original, moi qui n’ai jamais vu, de prendre des photos. Je ne m’en pensais pas capable».

Masque africain

Lors d’une journée au bord de mer à Pornic, avec une personne de l’association Handisup, ce dernier a choisi de photographier la lune en plein jour. «Mon accompagnatrice m’avait décrit les différents endroits où nous étions mais je ne savais pas ce que ça allait donner, raconte Anthony. Quand le photographe m’a dit que j’avais bien pris la lune, j’étais rassuré. C’est formidable de savoir que je peux prendre une belle photo. J’ai très envie de retenter l’expérience». Mickaël Chemineau, 34 ans, a préféré prendre ses clichés seul, même s’il est non voyant depuis la naissance. «C’était un jeu, presque un défi, avoue-t-il. Certaines photos n’ont pas bien rendu mais j’y ai pris beaucoup de plaisir».

Cédric Nicolas et ses photographes ont sélectionné ensemble un seul cliché pour l’exposition. « Il fallait que ce soit esthétique selon mon œil de photographe et que le propos soit pertinent », explique le professionnel. Au final, les photographies choisies expriment huit sensibilités différentes et racontent chacune une histoire de la beauté. La photo de Mickaël Chemineau est l’une des plus floues et des plus abstraites. On y distingue un morceau de masque africain, décalé sur la gauche. «On m’a offert sept masques représentant les jours de la semaine pour décorer mon salon, explique-t-il. J’aime beaucoup leur texture et ce qu’ils dégagent».

Légendes en braille

Mathilde Vilbert, 23 ans, qui ne voit que des taches et des ombres depuis sa naissance, a pour sa part photographié la verrière du Conseil régional des Pays-de-la-Loire. « Parce c’est un endroit très lumineux et un lieu de rencontres », indique celle qui a été conseillère régionale jeune. D’autres ont choisi de mettre en scène leur passion, comme François, avec le musée de l’automobile. Les paysages d’Anne-Sophie (la plage de la Baule) ou d’Alain (les bords de l’Erdre) sont quant à eux d’une grande poésie, tant la légende des clichés révèle leur attachement à ces lieux imaginés sans avoir jamais été observés.

Présentées pour la première à Saint-Sébastien-sur-Loire, lors du festival Handiclap (2) en mars dernier, ces huit photographies et leurs légendes rédigées en braille seront de nouveau exposées le 24 avril, sous les nefs de Nantes. Cédric Nicolas, qui a déjà réuni la moitié de son budget de 10 000 euros pour ce projet, financé par les conseils régional et général, la mairie de Saint-Sébastien et des institutions privées, ne compte pas s’arrêter là. Il va recruter huit nouveaux photographes et souhaite proposer une exposition de grande envergure à l’automne 2010, accessible aux voyants comme aux non voyants.

Florence Scolaro

(1)  Cédric Nicolas fait partie de l’association Triphase. Son site personnel : www.unpeuflou.com

(2)  Festival organisé par l’APAJH 44, qui fête ses 40 ans cette année. 

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