«L’an dernier, j’ai trouvé mon stage cinq jours avant qu’il ne commence, raconte Frédéric Buron, étudiant en 2ème année d’éducateur spécialisé à l’Arifts-Iframes d’Angers (1). C’est l’école qui s’en est chargé car je n’avais essuyé que des refus». Le jeune homme avait postulé dans des instituts médico-éducatifs (IME) et des centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Peine perdue. Il s’est finalement retrouvé à Saumur, dans un service d’éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD). Un terrain de stage qu’il n’avait pas choisi et qui lui a occasionné des frais de route et de repas conséquents. «Avant, c’était déjà compliqué de trouver un stage. Aujourd’hui, la gratification est clairement un motif de refus». La mise en place de la gratification des stages dans le secteur social et médico-social est récente. La loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances avait d’abord imposé aux entreprises la gratification des stagiaires de plus de trois mois. Cette obligation s’est étendue aux associations en 2008 et à la fonction publique d’Etat l’an dernier. Par ailleurs, la loi du 24 novembre 2009 sur l'orientation et la formation professionnelle tout au long de la vie a réduit la durée minimale de gratification à deux mois. Autant d’intentions louables destinées à réduire la précarité étudiante qui viennent perturber le principe de l’alternance propre aux formations en travail social.
«Bricolage »
«La gratification pose énormément de soucis », résume Bruno Le Capitaine, directeur général de l’association régionale des instituts de formation en travail social (Arifts), qui regroupe trois centres de formation à Nantes et Angers (2). «Elle accroît le bricolage et désoriente le parcours de formation des étudiants car ils ne parviennent pas à obtenir les terrains de stage souhaités». Directrice déléguée de l’Ecole supérieure des métiers du social (ESMS) en Vendée, Monique Colineau a même été obligée de reporter d’une semaine le départ en stage de plusieurs étudiants. «Au final, tout le monde a trouvé mais cela demande beaucoup d’énergie aux équipes, confie-t-elle. On passe des semaines au téléphone avec l’impression d’harceler les employeurs». Les petites associations qui n’emploient qu’un ou deux travailleurs sociaux, auparavant ouvertes aux stagiaires, ferment de plus en plus la porte, faute de moyens. Quand aux associations plus importantes, elles ont souvent mis en place des quotas de stagiaires. « Nous n’avons plus de marge de manœuvre, commente Monique Colineau. Aujourd’hui, quand un établissement nous prend quatre étudiants, ce n’est pas un de plus ». Responsable des ressources humaines à l’association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) en Loire-Atlantique, qui gère 18 établissements et services (IME, SESSAD, etc), Fabienne Mony reconnaît que la première année de mise en place de la gratification a été difficile. «Désormais, l’accueil des stagiaires est prévu dans notre budget, au même titre que les apprentis et les contrats de professionnalisation».
Organisme tiers
Alors que les futurs éducateurs spécialisés, assistants de service social, conseillers en économie sociale et familiale ou éducateurs de jeunes enfants sont les principaux concernés, les autres étudiants en travail social semblent moins impactés. Responsable du département Carrières sociales de l’IUT de Cholet, Stéphane Wable a pu placer ses étudiants sans problème, principalement dans les collectivités locales et la fonction publique hospitalière, qui ne sont pas tenues de gratifier leurs stagiaires. Par ailleurs, d’autres raisons expliquent les difficultés d’accès aux stages : problèmes institutionnels, restructuration des équipes, besoin de souffler des professionnels, etc. « Mais la gratification est venue ajouter des problèmes à des questions habituelles et normales, souligne Bruno Le Capitaine. Le modèle de l’alternance est dès lors remis en cause alors qu’il est reconnu de toutes parts».
Si les étudiants et les formateurs se mobilisent contre la situation, tous tiennent néanmoins à la gratification des stages, qui correspond à 400 euros par mois environ. «C’est même insuffisant», note Bruno Le Capitaine. Leur solution pour sortir de l’ornière ? Qu’un organisme tiers, abondé par les pouvoirs publics, finance directement les gratifications des stagiaires. Une proposition à laquelle la Direction générale de la cohésion sociale fait, pour l’instant, la sourde oreille.
Florence Scolaro (1) Site : http://www.iframes.org/ (2) : L’IFRAMES, l’ENSO et L’AFPSEJE