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Aider les enfants en aidant les parents
Publié le 26/04/2010
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reportage

Depuis décembre dernier, des parents d’élèves d’origine étrangère suivent des cours de français dans plusieurs établissements scolaires de Loire-Atlantique. Leçon particulière au collège Allende de Rezé.



Anne Simon, enseignante, et une famille tchétchène (Photo : A. Penna)

Franchir les grilles de l’école de la République. Aller à leur tour apprendre le français, là où leurs deux fils aînés le manient chaque jour. Djaradat et Moukhtar, Tchétchènes réfugiés en France depuis deux ans et demi, tentent l’expérience pour la seconde fois En ce lundi de mars, ils pénètrent timidement dans une salle de classe du collège Salvador Allende de Rezé, accompagnés de leur petite dernière qui joue à la traductrice. Anne Simon, professeur de FLE (Français Langue Etrangère), commence la leçon avec toute la douceur de sa voix : «j’ai apporté quelques documents sur la Tchétchénie, pour comprendre ce que vous avez vécu dans votre pays.» Djaradat, la mère, n’ouvre pas la bouche. «Moi asile politique», bafouille Moukhtar, le père, puis il veut en dire plus mais ne trouve pas les mots. Alors, pour ces grands débutants, la professeur commence par les bases, patiemment : réciter l’alphabet, renseigner une fiche d’identité. «Vous aurez beaucoup de formulaires comme celui-ci à remplir, par exemple au Pôle emploi.» Un nouveau pas sur le long et chaotique chemin de l’intégration…

Assise en face, Danijela, serbe, écrit les réponses d’une main assurée. La situation de ses nouveaux camarades de classe lui rappelle ses difficultés quand elle est arrivé en France il y a sept ans. «J’osais à peine dire bonjour, mais depuis j’ai fait des progrès», lâche en souriant la jeune mère de famille. Danijela vient depuis le début de ces cours, en janvier, informée par la directrice de l’école primaire de sa fille. Motivée, courageuse, assidue : «Anne m’explique tout, c’est presque des cours particuliers.» Ensemble, elles ont même rédigé des lettres de motivation à joindre à son CV. Et désormais, à la case «avez-vous une profession ?» du formulaire, elle écrit avec fierté, et sans faute d’orthographe: «femme de ménage». Elle revient d’ailleurs juste de la caserne où elle effectue depuis quelques semaines son travail à l’aube.

Entrer dans une spirale positive

Deux parcours parmi ceux de la vingtaine de parents d’élèves de Rezé -du collège Allende mais aussi des écoles du secteur- qui viennent plusieurs fois par semaine suivre des cours de français et de civilisation dans le cadre de l’Opération «ouvrir l’école aux parents pour réussir l’intégration». Une opération expérimentale et nationale à l’objectif explicite, co-pilotée par le ministère de l’éducation et le ministère de l’immigration et de l’intégration. Ces parents viennent de Tchétchénie, de Serbie, mais aussi de Turquie, du Maghreb, du Tchad…«Autant de cultures, d’histoires, de niveaux différents. Alors je fais du sur mesure, je réponds à leurs besoins quotidiens. Ce qui m’importe est qu’ils s’y retrouvent le plus vite possible et qu’ils prennent plaisir», explique la pragmatique professeur Anne Simon, qui fait d’une pierre deux coups en combinant français et connaissance des institutions. Elle a été recrutée contractuellement pour 240 heures d’enseignement réparties entre janvier et juin 2010, grâce au financement de 9600 euros accordé au collège Allende. «Des moyens exceptionnels et un grand espoir», insiste Elisabeth Desobry, la principale du collège Allende à l’enthousiasme communicatif. «Il s’agit de créer un lien entre ces parents et l’école. Souvent ils angoissent à l’idée de venir nous rencontrer car ils ne sont convoqués que quand ça va mal». Comme Djaradat et Moukharat, le couple de parents tchétchènes, convoqués pour parler du plus turbulent de leur fils, et obligés de s’expliquer via un interprète russe. En leur ouvrant la porte des salles de classe, la principale espère les aider à entrer dans une spirale plus positive. Et d’expliquer : «ces parents sont dépendants de leurs enfants qui maîtrisent le langage. Mais s’ils parlent français, le pouvoir de leurs gamins est chancelant». Elisabeth Desobry a étudié le sujet puisque le collège qu’elle dirige accueille  près de 22 élèves allophones (qui ont pour langue maternelle une autre langue que le français). Alors, quand en septembre l’inspection académique  de Loire-Atlantique a proposé ces cours innovants, elle n’a pas perdu de temps pour monter le projet en collaboration avec les écoles du secteur, et sa force de conviction a permis la mobilisation. De nombreux médias sont venus, dont la Rai italienne. Le bilan provisoire est bon. Avec cependant un gros bémol–la rotation de l’effectif car les inscrits sont absents à tour de rôle-, un regret –ne pas avoir réussi à faire venir des parents roms- et une question – les financements continueront-ils l’année prochaine ?

La langue, un outil indispensable

«Oui, cette expérimentation nationale lancée pour la première année en Loire-Atlantique, devrait être prolongée et même élargie à la rentrée prochaine», assure Jean-Marie Renault, inspecteur d’académie adjoint à Nantes, chargé de ce dossier par le rectorat, en lien avec la préfecture de région. La Loire-Atlantique est pour l’instant le seul département des Pays de la Loire à participer, avec la validation des projets de quatre établissements et 61 parents inscrits au total :  les collèges Allende à Rezé et Stendhal à Nantes, Pierre Norange à Saint-Nazaire et l’école Jean Moulin à Nantes (quartier Malakoff). Le budget prévisionnel de 45 000 euros, financés par l’ACSE (agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances), n’a été que partiellement utilisé puisque quatre autres établissements n’ont pu boucler leur projet dans les temps et ne commenceront les cours qu’à la rentrée prochaine. D’autres devraient suivre. 120 heures sont accordées par groupe de 8 à 15 inscrits. «Nous nous sommes adressés prioritairement aux établissements qu’on estime avoir un certain nombre de parents allophones, classés en zone d’éducation prioritaire ou non». Ainsi le collège Allende est le seul qui n’est pas en réseau Ambition réussite et pourtant le seul à avoir deux groupes. L’inspecteur rabâche les trois points du cahier des charges: «d’abord permettre de mieux connaître l’institution scolaire et ses attentes; ensuite les valeurs de la république ; et la langue française, presque en arrière-plan mais comme outil de communication indispensable.» L’objectif n’est donc pas de faire de parfaits francophones mais avant tout «d’apprendre le métier de parents d’élève, si on peut dire, dans l’intérêt de la réussite scolaire des enfants.» Après un trimestre de fonctionnement, les échos sont très favorables, mais l’inspecteur note lui aussi «une réserve sur laquelle il faut réfléchir : l’assiduité incertaine.» En effet, pas facile d’aller régulièrement à l’école quand on se démène pour son foyer, comme Danijela au petit matin dans sa caserne ou Djaradat et Moukhtar qui iront bientôt cueillir le muguet.

Armandine Penna

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