Léa Clémence, lors d'un atelier au lycée professionnel de Machecoul (photo : F. Letourneux).
« Il faut toujours réussir à insuffler du sens ». Telle est l’obsession de Léa Clémence et de sa complice Josée Camps-Durand pour définir l’atelier qu’elles animent sur la sexualité et la prévention des grossesses précoces (*), organisé dans le lycée professionnel de Machecoul (44). La première aime à se présenter comme une « tricoteuse de mots », la seconde comme une « féministe engagée », conseillère conjugale au Planning familial de Loire-Atlantique.
Un climat de confiance
Face à elles, une classe de neuf jeunes gens tout juste majeurs (dont un seul garçon) inscrits en deuxième année de CAP agent polyvalent de restauration. Sur un total de sept séances de trois heures, toutes les questions liées à la sexualité ont été abordées : les grossesses précoces, les violences et les agressions sexuelles, mais aussi la jalousie, le rapport aux parents, la déconstruction des rôles stéréotypés entre les hommes et les femmes…
Pour libérer la parole, Léa Clémence mobilise toutes sortes d’outils : des jeux de mime sur des mots évocateurs (« grossesse », « contraception », « jalousie »), des récits d’imagination (« votre grand-père/mère vous racontent comment étaient les relations amoureuses à leur époque… »), l’écriture de mini BD… « Quand il y a la médiation d’un support, ça facilite toujours la rencontre, à condition bien sûr qu’il y ait un accompagnement. L’outil permet de faire émerger la parole, c’est un pré-texte », plaide Léa Clémence.
A 47 ans, cette femme énergique et joyeuse met un point d’honneur à se mettre au service de la parole de l’autre : « C’est important de suivre le rythme de ces jeunes et de voir où ils ont envie d’aller » Son écoute attentive et son regard bienveillant permettent d’installer un climat de confiance. Au sein de la classe, le huis-clos des échanges favorise aussi les confidences.
Des ateliers pour faire émerger la parole
Sa formation initiale dans le commerce international ne laissait en rien présager une telle évolution de carrière. C’est à l’occasion d’une longue période de chômage que Léa Clémence découvre le travail de l’argile vers une trentaine d’années. Elle décide alors très vite de se lancer dans des ateliers artistiques (mobilisant l’argile, la peinture mais aussi le travail sur les mots) pour favoriser la prise de parole de publics en situation de fragilité (handicapés, personnes en insertion, en hôpital de jour, etc.).
« Donner la parole aux exclus, c’est pour moi une forme de militantisme, soutient Léa Clémence. Je me considère comme une sage-femme, je ne sais jamais ce qui va naître de la discussion, mais j’aime bien l’idée d’accompagner la personne dans sa phase de gestation. »
L’originalité de sa position tient au fait qu’elle intervient aussi auprès des travailleurs sociaux, pour les aider à prendre du recul par rapport à leurs pratiques. « Ce n’est pas parce qu’on est dans le social qu’on sait écouter, assure-t-elle. Ce qui est difficile ce n’est parfois pas tant d’accompagner les autres que de gérer les rapports au sein même de l’équipe »
Trouver sa propre voix
Se nourrissant ainsi de la parole des autres, elle fait entendre dans ses écrits personnels une voix très originale, sorte de patchwork polyphonique dont elle est la grande ordonnatrice. C’est ainsi qu’est né le spectacle « Chez Les Nibonn… » qui traite du thème douloureux de la maltraitance et de l’inceste. Sur scène, les figurines d’argile que Léa Clémence malaxent prennent vie, alors qu’une voix résonne disant la douleur, la honte, l’impossible oubli…
Trois ans après sa création, le spectacle continue toujours de tourner grâce au bouche-à-oreille. Il est programmé dans des théâtres, des IRTS (Instituts régionaux de travail social) voire même chez l’habitant. Le livret du spectacle est même désormais utilisé dans les formations de travailleurs sociaux pour les sensibiliser à toutes ces questions. « Pour moi, c’est important d’utiliser le culturel comme un outil de réflexion autant pour les professionnels que pour les citoyens. La question qui émerge finalement à la fin du spectacle c’est : Et moi, qu’est-ce que je peux faire ? », soutient Léa Clémence qui parle autant avec ses mains qu’avec ses yeux.
« Ni du tape dans le bide, ni du pleur-mémé »
Très récemment, elle a décliné cette méthode du collage pour l’écriture d’un livre intitulé Anna, Tom et les autres. Quand l’école s’emmêle… s’en mêle. Les longs entretiens réalisés en face-à-face avec des professionnels, des parents ou des enfants sur des questions aussi variées que le stress, les troubles « dys », ou l’estime de soi sont devenus de véritables fictions. « C’est comme si je témoignais pour les autres… Avec cette matière première, j’essaye de faire ni du tape dans le bide, ni du pleur-mémé. J’aime bien poser les questions sans avoir les réponses », confie-t-elle. Une façon pour cette chercheuse d’histoires de dire et de vivre un engagement à la fois artistique et citoyen. Toujours et encore.
Frédérique Letourneux
(*) Il s’agit d’un atelier financé par la MGEN dans le cadre des actions d’information obligatoires menées par l’Education nationale sur les violences et l’éducation à la sexualité