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À Nantes, une voix de la rue
se tait à tout jamais
Publié le 21/05/2013
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Il chantait solidairement à l’enterrement des “morts de la rue”, c’est au tour des autres de chanter au sien. Serge Rousse dit le Gaulois, figure des exclus nantais et de la chorale Au clair de la rue, est décédé vendredi. Il laisse derrière lui l’image d’un homme de chœur.

Voir également notre reportage vidéo sur les obsèques, en chansons, du Gaulois au cimetière Miséricorde de Nantes.



Serge Rousse dit le Gaulois, lors d'une répétition de la chorale Au Clair de la Rue dont il était un fondateur et un moteur (photo : Archives LCS).

Un grand gars costaud avec une queue de cheval, une épaisse moustache blonde et une casquette de capitaine vissée sur la tête. Ancien pêcheur de la presqu’île guérandaise, Serge Rousse, surnommé “le Gaulois”, était devenu l’un des visages les plus connus du monde de la rue nantaise. On ne croisera plus ses traits abîmés par la vie. On ne le verra plus avancer en boitant. On ne l’entendra plus chanter dans la chorale Au Clair de la rue. Emporté à 59 ans par la maladie, il s’est éteint chez lui vendredi dernier, et sa voix grave avec.

Un parcours

« À la fin, il ne voulait plus aller à l’hôpital, il a pris le large. C’était un homme de liberté ! », résume Yannick Jollivet, qui a appris de lui jusqu’au bout. Il se dit fier que Serge lui ait un jour confié son amitié. L’un faisait ses courses et l’autre la manche en centre-ville sur le marché de Talensac. Ils se sont rencontrés à l’époque où Serge Rousse venait de s’installer dans un petit logement social, après 6 ans à dormir sous un arbre près de la gare de Nantes.
Prison, accident de la route, handicap, rue, excès : c’est en passant par ces cases “pièges” qu’il a fait son chemin. « Après avoir mangé la vie par les 4 bouts et fait pas mal de conneries, il s’est assagi. A la fin, il avait vraiment une philosophie de la vie, une sagesse, une générosité», admire Yannick Jolivet qui n’aurait jamais pensé « avoir un jour un ami de la rue ».

Une voix

L’ancien ingénieur et l’ancien SDF ont fondé ensemble la chorale Au Clair de la rue : un bande d’exclus et de bénévoles qui chantent pour accompagner dignement les gens de la rue vers leur dernière demeure. Ils répètent ensemble tous les mardis. Et dans leurs bouches, les paroles de l’Auvergnat de Brassens sonnent juste même quand ils chantent faux ou qu’ils ont bu (« ce n’était rien qu’un bout de pain, mais il m’avait chauffé le cœur.»). Yannick Jolivet en est persuadé, ces paroles vibreront encore plus à l’enterrement de Serge : « Il me disait souvent qu’il avait peur, à sa mort, d’être enterré comme un chien. Nous allons le faire mentir, il y aura plein de monde à son enterrement.»

« Sa gueule, sa gouaille, son refus de l’hypocrisie quelque soit la personne en face de lui, son intégrité », voilà ce qui l’a fait connaître selon Jean-Pierre Cadio, responsable du Collectif nantais des “morts de la rue”, qui organise (en lien avec les services municipaux) les sépultures auxquelles Serge venait en soutien avec sa chorale. Ce bénévole qui fréquente quotidiennement les sans toit et les démunis, nuance : « Sa forte personnalité pouvait aussi faire de l’ombre à certains. Il n’avait pas que des amis. »


Serge le Gaulois chante aux côtés de son ami Yannick Jollivet et de quelques membres de la chorale Au clair de la rue, au CHU lors de la sépulture d'un homme mort dans l'isolement après un parcours de rue (photo : Archives LCS).

Un grand frère

« Un sacré monument, connu dans la France entière ! », s’exclame sa fille Léonie, pas surprise de voir qu’autant de gens sont touchés par la mort de son père. « Les gens de la rue sont plus solidaires que les gens “normaux”. » Elle l’assure, à La Baule où elle vit encore, son père s’est beaucoup occupé d’elle les premières années, avant que sa vie ne dérape.
Ensuite, il a continué à l’éduquer à sa façon : « Plus celle d’un grand frère que celle d’un papa : il était un exemple malgré tout. Ses conseils étaient bons à prendre, il savait de quoi il parlait. » Léonie, aujourd’hui parent à son tour, n’a jamais coupé les ponts. Même quand son père est arrivé à Nantes avec ses soucis, même quand elle le voyait « au goulot avec ses collègues ».

La sœur de Serge aussi a toujours gardé le contact avec lui, au parloir pendant ses années de prison, ces derniers mois à l’hôpital en lui apportant le flan qu’il aimait tant. « Il a toujours été mon grand frère, il savait que je ne le jugeais pas ». La sœur est bénévole aux Restos du cœur, le frère investit dans sa chorale : « Nous étions tous les deux très sociaux, chacun à sa manière. »

Un vide

Sa famille, ses copains : Serge était entouré. Il laisse un vide. La chorale doit continuer sans lui qui en était le pilier. « C’est ce qu’il aurait voulu. Il nous manque déjà », confie Ted Rochais, un ami de Serge qui après les répétitions de chorale avait l’habitude de passer le mardi après midi à palabrer avec lui. Aujourd’hui, c’est sans lui qu’il a chanté dans une maison de retraite.
Lundi prochain, la chorale entonnera l’Auvergnat pendant l’enterrement. Quelqu’un récitera peut être aussi un des poèmes que Serge Rousse écrivait pour les enfants. La cérémonie doit avoir lieu selon ses souhaits : « Sans chichi » et au cimetière miséricorde aux côtés des copains de galère qu’il a enterrés.

Armandine Penna

Cérémonie civile lundi 27 mai à Nantes à 9 heures au Cimetière Miséricorde, près de la place Viarme.

Un long témoignage de Serge Rousse doit être diffusé en octobre prochain sur France 5 dans une série documentaire de Thierry Demaizière intitulée “Entre autres”.

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