Christian Chasseriaud, membre du bureau Fnars Aquitaine: "On a poussé tellement loin le découpage des actes de l’action sociale qu’on a détricoté l’accompagnement social" (Photo DR).
LCS : En quoi le contexte économique et social percute-t-il le travail social ?
Christian Chasseriaud : On est passé d’un travail social qui, dans une société en développement, répondait au besoin d’insérer ceux qui ne suivaient pas, à une société en crise qui voit se multiplier le nombre de personnes qui décrochent. Les travailleurs sociaux font face à de plus en plus de personnes déqualifiées.
Le profil sociologique et social des usagers a extrêmement changé. Il y a 25-30 ans, les personnes qui sollicitaient les travailleurs sociaux avaient un niveau scolaire relativement bas. Aujourd’hui, beaucoup d’usagers ont le BEPC, le bac voire davantage. Ce qui engendre une manière de travailler différente et un changement culturel important.
Le Canard Social : Faut-il dès lors repenser l’action sociale ?
Christian Chasseriaud : On a poussé tellement loin le découpage des actes de l’action sociale qu’on a détricoté l’accompagnement social, on l’a morcelé jusqu’à ne plus prendre en compte la transversalité des besoins des personnes en difficulté. Les interlocuteurs ont été multipliés à l’infini. Plus on les multiplie, plus on met en difficulté la personne. Même les travailleurs sociaux ne s’y retrouvent pas dans ce dédale d’intervenants. Chacun a ses propres missions et met en œuvre un accompagnement social sans coordination. Il en va du bien être des personnes accompagnées de retrouver des simplifications.
LCS : Pourtant, être spécialisé peut aussi être un gage de compétence…
Christian Chasseriaud : La législation est tellement complexe qu’il faut une connaissance aigüe des dispositifs. Mais il ne faut pas la confondre avec l’accompagnement d’une personne qui met en place un projet de vie irréductible à des dispositifs. Aujourd’hui, on est confronté à une atomisation des réponses, individuelles, qui ont l’inconvénient de maintenir les personnes dans leurs difficultés.
LCS : Vers quelle approche faut-il réorienter l’action sociale aujourd’hui ?
Christian Chasseriaud : L’accompagnement social doit devenir global et collectif pour éviter l’effet de morcellement des interventions. Il ne faut pas que le travail social contribue à exclure un peu plus les gens. Et pour cela, il doit se donner les moyens d’être plus cohérent et aussi plus collectif pour permettre aux usagers de devenir co-productrices de leurs propres changements, à travers notamment la rencontre de personnes qui ont les mêmes problèmes.
Il y a par exemple dans certains départements des bénéficiaires du RSA qui se sont regroupés avec des travailleurs sociaux et font entendre leurs points de vue, deviennent acteurs des politiques des conseils généraux.
LCS : Vous plaidez pour une participation des usagers…
Christian Chasseriaud : Ça va bien au-delà de la participation qui inclut par exemple les personnes à une commission. Il s’agit vraiment de co-construction. Les bénéficiaires des politiques sociales doivent être des interlocuteurs, des décideurs politiques qui décident pour eux-mêmes. C’est ça l’accompagnement collectif.
LCS : Cela n’implique-t-il pas de détricoter toute l’organisation institutionnelle ?
Christian Chasseriaud : Il faut revoir l’organisation des services sociaux de façon globale. Avec toujours une question centrale : le travail social doit-il répondre à la logique de son institution ou se mettre au service des usagers ? C’est un travail de refondation plus que de réforme. Aujourd’hui, les mentalités sont prêtes pour ce changement. Il y a une ouverture, notamment dans certains conseils généraux, prêts à essayer de travailler autrement. Mais ce n’est pas simple, on ne sort pas d’un système fondateur d’une action sociale comme ça. Il faut du temps.
LCS : Concrètement, voyez-vous une réflexion émerger parmi les travailleurs sociaux ?
Christian Chasseriaud : Un changement de paradigme est en train de se mettre en place, où l’on travaille avec un regard positif en s’appuyant sur les potentialités et sur les richesses de la personne plus que sur ce qui ne va pas chez elle. Et ça change tout. Ce changement de paradigme se réalise parfois dans des situations conflictuelles entre des travailleurs sociaux et leur hiérarchie. Mais il y a matière à modifier l’organisation de l’action sociale.
Propos recueillis par David Prochasson
*Journée "Exclusive Fnars Pays de la Loire": Accompagnement (social) global, comment passer de l'ambition à la réalité? Mardi 28 mai, salles de la Manu à Nantes. Les analyses et propositions formulées alimenteront les journées du travail social que la Fnars nationale organise les 7 et 8 novembre à Valence.