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Série d’interrogations autour de l’ITEP Lamoricière
Publié le 13/06/2011
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reportage

Le 9 juin a eu lieu l’audience au civil opposant des parents à l’ITEP Lamoricière : ils mettent en cause la responsabilité de cet institut dans les agressions sexuelles dont leur fils a été le co-auteur (voir notre article précédent). Une autre affaire d’agression sexuelle au sein du même ITEP pourrait passer bientôt devant la justice pénale. Et des préconisations de la DDASS planent toujours sur l’établissement. De quoi s’interroger sur le fonctionnement de cet institut, l’un des plus gros de Loire-Atlantique, qui dit pourtant avoir rempli ses obligations. 



A l'issue d'une audience le 9 juin au TGI de Nantes, l'avocate d'une famille qui met en cause l'établissement (photo : A. Penna).

Fini le huis clos. L’audience publique a eu lieu le 9 juin au tribunal de grande instance de Nantes, les medias s’en mêlent. La direction de l’ITEP Lamoricière n’a pas fait le déplacement. Les parents sont eux bien présents, un peu tremblants sur leur banc. C’est un jour important pour eux, celui de leur confrontation officielle avec cet institut du centre-ville de Nantes auquel ils avaient confié la prise en charge (entre 2001 et 2010) de leur fils né en 1995, psychologiquement instable. L’avocate Carole Le Roux, substitut de l’avocat des parents Nicolas Feuillâtre, rappelle ce qui motive leur démarche d’assignation devant la justice civile : ils reprochent à l’ITEP d’avoir manqué à ses obligations de soins et de surveillance, défaillances qui auraient « vraisemblablement contribué à une facilité du passage à l’acte ». En effet, par deux fois en 2007 puis en 2008, l’adolescent a été l’auteur d’agressions sexuelles en réunion, faits graves pour lesquels il a été condamné pénalement. L’avocate de la défense, Marie-Christine Carlier-Muller, après avoir rappelé que les relations ont presque toujours été conflictuelles entre les parents et la direction de l’ITEP, livre la ligne de défense de l’ITEP : l’organisme professionnel affirme avoir remplit ses obligations.

L’ITEP conteste le manquement dans les soins et la surveillance

Face à l’accusation d’avoir rompu les soins de l’adolescent à la suite du départ à la retraite de la psychanalyste qui le suivait, la direction de l’ITEP clame « inexact ». Elle affirme qu’une solution de remplacement a bien été proposée.  « Mais M. et Mme n’ont pas souhaité que le psychanalyste de l’ITEP prenne la relève. Ils ont préféré que leur fils continue d’être suivi par sa psychanalyste à l’extérieur, avec une dérogation de l’ITEP », affirme Marie-Christine Carlier-Muller, l’avocate de l’ITEP. Les parents disent eux qu’ils n’ont trouvé cette solution, à leur frais, que par défaut. Ils sont persuadés que cette modification du suivi thérapeutique de leur fils a entraîné une dégradation de son état psychologique et favorisé indirectement ses passages à l’acte. C’est parole contre parole, aucune preuve n’est avancée ni d’un côté ni de l’autre.

Le litige sur le défaut de surveillance, central dans la procédure judiciaire, concerne lui deux série de faits graves (qui ont eu lieu en 2007 et 2008), avérés puisqu’ils ont été condamné pénalement en 2009 par le tribunal pour enfants de Saint-Nazaire. « La direction de l’ITEP affirme avoir pris toutes les mesures nécessaires à partir du moment où les faits délictueux et uniquement ceux-là lui ont été révélés le 5 juillet 2007», plaide Marie-Christine Carlier-Muller, avant de détailler ces mesures : auditions des filles, fin de la mixité de l’internat, signalement au procureur. L’accusation s’était appuyée sur des témoignages de l’enquête pénale pour faire état de visites des garçons dans les chambres des filles dès le mois de juin et conclure que l’ITEP aurait dû prendre des mesures de protection bien avant. La défense rétorque qu’il n’y a « aucune preuve de faits identiques réitérés laissant conclure à un défaut de surveillance », elle ajoute « si les garçons se sont rendus plusieurs fois dans la chambre des filles, il n’est pas avéré qu’il y ait eu agression à caractère sexuel ».  Quant aux faits qui se sont reproduits plusieurs mois plus tard alors que l’adolescent était toujours pris en charge au sein de l’ITEP, la défense insiste sur le fait que c’est bien l’intervention d’un éducateur qui a permis leur découverte en flagrant délit et leur interruption. La défense conclut que ce n’est pas la responsabilité de l’ITEP qui est à l’origine du préjudice moral subit par les parents, s’il est établi,  mais bien le comportement de leur fils. Ils demandent en conséquence à la justice de débouter les parents de leur demande de dommages et intérêts (16 000 euros de réparation). La juge rendra sa décision le 7 juillet prochain.

Motivations des parents

Les parents attendent avec impatience de savoir à qui le tribunal donnera raison. Au delà de leur combat personnel pour obtenir réparation, ils disent vouloir briser une « loi de l’omerta ». Ils dénoncent « une banalisation de la violence devenue comme une maladie nosocomiale au sein de l’établissement» et qui a atteint la vie non seulement de leur fils mais aussi de ses camarades co-auteurs et de leurs victimes. Par leur démarche, ils espèrent inciter d’autres parents à leur emboîter le pas. Aujourd’hui et après un certain délai d’attente, leur fils est accueilli dans un autre ITEP, il a aussi été placé auprès de l’Aide sociale à l’enfance.

Une autre affaire dans le même institut

Un autre avocat s’intéresse à l’issue de cette audience. En effet, Franck Boezec a pris en charge le dossier d’une jeune fille victime en 2009 d’une autre agression sexuelle… au sein du même ITEP. La procédure pénale est en cours devant la juridiction des mineurs. L’enquête pourrait aboutir à la mise en examen des auteurs potentiels et à un procès début 2012. « Le résultat du jugement (ndlr : suite à l’audience civile du 9 juin) m’intéresse au plus au point car il pourrait m’aider », explique l’avocat, « si il y a une reconnaissance de la responsabilité civile de l’institution, cela pourrait aussi ouvrir la mise en cause pénale de cette institution et de ses dirigeants de l’époque ». En d’autres termes, si la justice civile décide de caractériser de « graves » les manquements reprochés à l’ITEP, l’avocat pourrait s’appuyer sur cette décision pour pousser la procédure pénale en cours jusqu’à la mise en cause pénale non seulement des co-auteurs mais aussi de l’institut en tant que personnalité morale.

Rapport de la DASS

Des professionnels en dehors de la justice se sont eux aussi penchés sur les dysfonctionnements de l’ITEP. Dès juin 2007, une inspection de la DDASS de Loire-Atlantique, à l’époque autorité de tutelle, avait été diligentée dans le cadre du programme de lutte contre la maltraitance dans les établissements sociaux et médico-sociaux. Le rapport préconisait la fin rapide de la mixité au sein de l’internat: « malgré le caractère apaisant de la mixité mise en avant par les éducateurs, les risques de débordement à caractère sexuel nécessitent de mettre en place des groupes de vie exclusivement garçons ou exclusivement filles». En outre, ce rapport appelait à la mise en place d’un véritable protocole de gestion de la violence et une formation des professionnels de l’institut en la matière.

De plus, dans une lettre de 2009, Nicole Taillandier, alors directrice de la DDASS, en réponse à une interpellation du député de la circonscription des parents, indique que des « dysfonctionnements non seulement conjoncturels mais structurels ont conduit à s’interroger sur la garantie des conditions de sécurité et de bien-être des jeunes accueillis au sein de l’établissement ». Elle écrit plus loin : « il paraît souhaitable que la crise institutionnelle qui dure au sein de l’Institut trouve une issue et se traduise par des réponses concrètes de nouvelle gouvernance ». Difficile de savoir si l’ITEP a pris en compte les préconisations, si la situation s’est améliorée. Malgré nos sollicitations, sa direction n’a toujours pas communiqué.

Armandine Penna

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