S'identifier


Mot de pase oublié ?
s'abonner
Professionnels, structures, particuliers
Abonnez-vous!
Louis Maurin de l'Observatoire des inégalités
Publié le 02/08/2010
partage

tags
entretien

La notion de pauvreté évolue. Depuis quelques années, et de manière de plus en plus flagrante, nous entendons parler de travailleurs pauvres : des hommes et des femmes occupant un emploi salarié mais dont les revenus ne leur permettent pas de décoller du seuil de pauvreté. Nous avons sollicité Louis Maurin, le rédacteur en chef de l’observatoire des inégalités pour en parler. Son message est clair : alarmer ne sert à rien !

Article initialement publié le 10 mai 2010.



Louis Maurin : "Définir la pauvreté c'est une question de méthodologie" (Photo : Observatoire des inégalités)

Le Canard Social : Qu’en est-il des travailleurs pauvres, peut-on parler de forte progression ?

Louis Maurin : Oui c’est une forme de pauvreté qui se développe mais parler d’explosion serait exagéré. La question c'est qu’en théorie on ne devrait pas avoir de pauvreté dans le travail puisque le SMIC est au dessus du seuil de pauvreté. Le vrai problème ce sont les temps partiels subis. Là on a affaire à des gens qui gagnent moins que le seuil de pauvreté. En revanche quelqu’un qui est à mi-temps par choix, même avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté, ne doit pas être considéré comme travailleur pauvre. Le travailleur pauvre : c'est celui qui subit. Ce que l’on sait aussi c’est que parmi les travailleurs pauvres il y a plus de femmes, à cause du temps partiel, et plus de jeunes : ils débutent dans le monde du travail et en fait ils cumulent des bouts d’emploi

LCS : C’est une notion nouvelle le «travailleur pauvre ?»

Louis Maurin : Non, la notion de travailleur pauvre n’est pas nouvelle au contraire, quand il n’y a avait pas le smic il y avait bien  plus de travailleurs pauvres, dans les années 50/60 par exemple. Alors c’est vrai il n’y avait pas la crise du chômage mais il n’y avait pas non plus de garde fous.

LCS : Les travailleurs pauvres viennent-il gonfler véritablement les chiffres de la pauvreté en France ?

Louis Maurin : Moi je pense qu’on exagère quand on parle de pauvreté… et du coup on croît bien faire en disant que le nombre de pauvres est important… sauf que l’on noie la question, on mélange tout. Aujourd’hui, le seuil de pauvreté pour une famille avec deux enfants de plus de 14 ans est établi par l’INSEE à 60% du revenu médian soit 2200 euros  par mois. Or, moi je pense qu’à ce niveau là on n’est pas pauvre, on est de revenus modestes. Je préfère retenir comme seuil 50% du revenu médian. Ce qui donne pour une personne seule 757 € par mois et 1892€ pour un couple avec deux enfants de plus de 14 ans. Mais au fond il n’y a pas de seuil objectif. Il n’y a pas de vérité par rapport à ces chiffres. Et on ne peut pas réellement définir la pauvreté, tout ça c’est un choix de méthodologie.

LCS : On agite trop le drapeau rouge ?

Louis Maurin : Les associations caritatives par exemple ont tendances à dire qu’il y a beaucoup de pauvres  parce qu’elles se disent qu’en alarmant ça va faire bouger les choses et que ça fera réagir les gens. On le comprend venant de la part de gens qui sont confrontés à la misère au quotidien. Mais en fin de compte, on a un résultat contre-productif avec un effet boomerang où on voit apparaître un discours qui finalement consiste à dire, «oh ils sont pas aussi pauvres que ça.» Il faut débattre, poser les choses et se mettre d’accord sur des critères.

LCS : Quel problème pose la notion de travailleur pauvre dans notre société ?

Louis Maurin : Ce qui frappe c’est que notre société est très largement fondée sur le travail. On n’est pas dans une société d’abondance, donc on doit travailler, pour gagner sa vie. Ce qui choque c'est que cette même société finit par procurer à ces personnes qui travaillent, moins que le seuil collectif admis de pauvreté. C'est ça qui crée le clash, l’incompréhension. Concrètement ça veut dire qu’il y a un grand nombre de personnes qui travaillent et qui ne s’en sort pas.  Au niveau national on parle de 1 million 500 000 à 2 millions de travailleurs pauvres. Le fameux slogan travailler plus pour gagner plus a plu car  beaucoup de gens ne demandent que ça. Sauf qu’en réalité on ne le leur permet pas…

LCS : Est-ce que les contrats aidés ne sont pas alors un paradoxe : ils permettent un travail mais bien souvent ne permettent pas des revenus au dessus du seuil de pauvreté.

Louis Maurin : Les contrats aidés ne garantissent pas, c'est vrai, d’être prémunis de la pauvreté… c'est un problème mais ce sont des dispositifs censés être temporaires favorisant le retour à l’emploi  de personnes sorties depuis longtemps éloignées du travail. Moi ma position est ambivalente, même bizarre sur la question : je pense qu’à la fois ça ne règle rien dans le fond  et en même temps je pense que ça permet quand même à quelques uns de sortir la tête de l’eau. Si ces dispositifs n’existaient pas, on verrait ce que ça donne. C’est comme l’aide alimentaire, ça ne règle rien dans le fond, mais c'est indispensable, ce sont des palliatifs, des dispositifs d’urgence, qui ne répondent pas aux problèmes. Ce qui est sûr, c'est que ces dispositifs atténuent un peu les effets de la crise.

LCS : Votre position est très nuancée, vous dites, soyons justes dans les chiffres que l’on donne, ne dramatisons pas les choses, mais est-ce que vous ne craigniez pas que l’on s’habitue à la pauvreté, à ces notions de nouveaux pauvres ou de travailleurs pauvres ?

Louis Maurin : Oui, c’est comme la précarité, on finit par vivre avec.  Mais c'est aussi aux médias de faire leur travail. L’habitude ne tombe pas du ciel, elle se prend s’il n’y pas de mobilisation par rapport à ça. Or, il y a des choix à faire, des mobilisations possibles. Je ne pense pas qu’il y ait une fatalité à la pauvreté laborieuse.  Mon travail c’est de dire ce que je pense de ce que je vois de la société. Je pense qu’on ne sensibilise pas d’avantage en effrayant les gens.  Mon objectif c'est de dire à des fractions larges «regardez ce qu’on voit, il y a des éléments très inquiétants»  ce n’est pas de me faire plaisir  en dramatisant.

LCS : Et quel discours doit-on tenir à ceux qui vivent la pauvreté ?

Louis Maurin : Leur dire que la société doit se mobiliser, leur dire, aux gens, qu’ils ne sont pas seuls responsables de leur situation, leur dire qu’il y a des mécanismes qui les dépassent et dont ils subissent les effets.

Propos recueillis par Cécile Petident.

newsletter
facebook