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Vers des passerelles entre éducation spécialisée et milieu ordinaire
Publié le 09/08/2010
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D’après le ministère de l’Education nationale, 180 000 élèves handicapés sont scolarisés cette année en école, collège et lycée, soit une augmentation de plus de 30% en cinq ans. Pour le sociologue Eric Plaisance, professeur émérite à l’université Paris-Descartes et membre du conseil scientifique de plusieurs associations de personnes handicapées, il faut désormais parvenir à une meilleure collaboration entre éducation ordinaire et éducation spécialisée. 

Article initialement publié le 17 mai 2010.



Le sociologue Eric Plaisance, Professeur émérite à l'université Paris-Descartes

Le Canard Social : Cinq ans après, quel bilan tirez-vous de loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances en matière de scolarisation des enfants handicapés ?

Eric Plaisance : Elle a provoqué des changement importants mais partiels et sans grande révolution, contrairement à ce qui se dit parfois. La notion d’accueil des enfants handicapés en milieu ordinaire avait déjà été évoquée dans divers textes d’orientation comme des circulaires du ministère de l’Education nationale. Mais il est indéniable que la loi du 11 février 2005 a conduit à un affermissement de ce principe. La précédente loi de 1975 n’était pas aussi claire. Elle parlait d’une obligation éducative. Par ailleurs, je retiens deux notions nouvelles : la désignation d’un établissement de référence et l’instauration d’un professeur référent chargé de suivre la scolarité de l’enfant et de faire le lien avec ses parents et d’autres partenaires.

LCS : Comment ces principes se traduisent-ils sur le terrain ?

Eric Plaisance : La loi prévoit l’inscription de l’enfant dans l’école la plus proche de son domicile. Mais selon ses besoins, il peut être inscrit ailleurs, notamment dans un institut médico-éducatif (IME) ou un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP). Pour mes collègues chercheurs italiens, avec lesquelles je collabore depuis de longues années, cette situation est difficile à comprendre, car on parle de scolarisation même quand les jeunes ne vont pas à l’école ordinaire. Mais il faut se replacer dans la situation française, marquée par l’héritage des associations de parents qui ont créé des lieux spécifiques pour offrir des solutions à leurs enfants handicapés. Il existe une compétence incontestable dans ces établissements qui disposent d’unités d’enseignement.

LCS : Parlez-nous de la situation italienne…

Eric Plaisance : Les Italiens ont abandonné l’éducation spéciale depuis la loi pédagogique de 1977. Ils continuent cependant à parler de pédagogie spéciale, qui consiste à avoir une approche pédagogique spécifique, sans pour autant séparer les élèves handicapés des autres. Là-bas, les enseignants spécialisés dits « de soutien » sont extrêmement nombreux, environ 80 000. Cela représente un fantastique effort national. En France, il existe une formation de professeur spécialisé. Mais le gros problème est celui de la formation des professeurs ordinaires. Elle n’était déjà pas très bien assurée dans les IUFM mais cela va s’empirer dans les universités.

LCS : Quel est selon vous l’avenir des établissements spécialisés en France ?

Eric Plaisance : Pour les enfants aux déficits les plus lourds, ces établissements continueront à avoir une vocation. Mais les autres peuvent intégrer le milieu ordinaire. Par conséquent, l’évolution fortement poussée par les pouvoirs publics est de passer de la notion d’établissement à celle de services. De sortir de la logique de la pierre. Cela engendre une double inquiétude : celle des enseignants qui manquent de moyens et de formation pour accueillir les élèves handicapés dans de bonnes conditions, et celle des établissements spécialisés qui craignent de se voir dépossédés de leur travail et du public avec lequel ils savent faire des choses.

LCS : Comment répondre au mieux à ces inquiétudes des professionnels ?

Eric Plaisance : Des expériences prouvent que l’on peut s’en sortir. Je pense à des classes implantées dans un établissement scolaire classique mais qui dépendent d’un établissement spécialisé. C’est une manière de créer des échanges entre éducation spécialisée et ordinaire. Mais cette formule est pertinente à condition qu’il existe des échanges avec les autres élèves et qu’elle ne se réduise pas à une implantation au fond d’un couloir. Un texte officiel d’avril 2009 incite à la coopération entre milieu ordinaire et spécialisé. Reste à permettre des cultures partagées entre ces deux milieux.

LCS : Tous les élèves handicapés sont-ils logés à la même enseigne en matière d’accès à l’école ? En particulier les élèves souffrant de handicap mental ou psychique ?

Eric Plaisance : Les enseignants le disent. S’ils n’ont pas de compétences pour prendre en charge les élèves sourds et aveugles, ils se disent qu’ils peuvent y arriver. En revanche, pour les enfants ayant des troubles psychiques ou psychotiques avec des formes explosives, les pistes sont encore insuffisantes. Il existe bien sûr des personnels d’appui comme les auxiliaires de vie scolaire. Mais ils connaissent des problèmes de statut, de rémunération et de formation. Il ne faut pas oublier qu’il existe aussi des services, comme les SESSAD, qui peuvent intervenir dans les lieux les plus divers. Et que l’on peut trouver un appui à l’extérieur via les centres médico-psychologiques ou les consultations hospitalières. En France, par rapport à d’autres pays, on a un ensemble assez diversifié de services qui peuvent accompagner l’inclusion des enfants en milieu scolaire. C’est difficile de s’y retrouver mais c’est aussi une richesse à utiliser.

LCS : Quelle issue pour les enfants handicapés après la fin de l’obligation scolaire à 16 ans ?

Eric Plaisance : Ce n’est pas simple. Certains élèves pourraient être accueillis dans des formations professionnelles ordinaires, alors que d’autres ont besoin de lieux plus spécialisés. Le problème, c’est qu’en matière de formation professionnelle, les jeunes ne sont plus protégés par les mécanismes scolaires mais se retrouvent confrontés aux contraintes du monde du travail. Cette intégration en CFA et en entreprise pourrait être bénéfique mais elle reste très déficitaire. Pour ceux qui ont plus de difficultés, les ESAT (établissements et services d’aide par le travail) sont une solution. D’autant que ce ne sont pas des lieux fermés. Je pense notamment à l’expérience PASSMO, qui favorise la sortie des ESAT vers les entreprises ordinaires. Cela implique une reconnaissance des compétences des jeunes adultes handicapés, compétences autres que celles habituellement demandées dans le monde du travail. C’est ce que j’appelle la reconnaissance d’être autrement capable (1).

LCS : Comment voyez-vous l’avenir ?

Eric Plaisance : Je reste assez optimiste car les attitudes et les représentations ont évolué depuis les années 1970. Aujourd’hui, le thème de la diversité dans les entreprises fait même partie de leur image de marque. Concernant l’arsenal législatif, l’idéal serait de ne plus avoir besoin de loi spécialisée pour les personnes handicapées. Mais de prévoir, dans chaque loi ou dispositif, des aménagements pour les prendre en compte, comme des tremplins spécifiques ou des droits à compensation. On peut souhaiter que cela soit comme ça dans vingt ans.

Propos recueillis par Florence Scolaro
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