Les familles roms installées sur le terrain du Pendule de Roman Signer, au bord de la Loire à Trentemoult (Rezé, 44), proposent de se transformer en guides touristiques. (photos : A. Penna)
« C’est quoi exactement ? Une horloge pour marquer le temps… mais il manque le cadran ! », fait remarquer Ion Iordan en mettant sa montre dans l’axe du pendule. Doyen de la douzaine de familles installée à Trentemoult (Rezé, 44) autour de la centrale à béton reconvertie en œuvre d’art par l’artiste Roman Signer, il dit ne pas bien comprendre cette œuvre monumentale de la manifestation d’art contemporain Estuaire 2009. Et pourtant, il la connait bien, depuis presqu’un an qu’il vit à ses pieds avec ses 5 enfants et ses 21 petits enfants. Ils l’observent tous les jours. Tous les jours aussi des touristes viennent jeter un œil en se glissant entre les caravanes déglinguées. « Quand ils nous posent des questions, on aimerait bien pouvoir leur répondre », a fait savoir Alina, la belle fille de Ion, à des militants de l’association Ame Sam qui défend leurs droits.
De la médiation judiciaire à la médiation culturelle
L’idée a fait son chemin et s’est transformée en un vrai projet de médiation culturelle, porté par un collectif né pour l’occasion, en un clin d’œil : Arta Vs Om (l’art contre l’homme en roumain). Ce collectif rassemble des guides-conférenciers, une critique d'art, une médiatrice culturelle, des photographes, des traducteurs, un artiste et un architecte-urbaniste… des militants non liés au Voyage à Nantes, prêts à former des Roms du terrain du Pendule pour en faire des guides culturels volontaires. Leur démarche est pragmatique.
La Société publique locale (SPL) Le Voyage à Nantes, structure à la fois culturelle et touristique qui loue le terrain du Pendule au Port autonome, veut le récupérer mais sans être complice d’une expulsion : elle a donc accepté le principe d’une médiation judiciaire en septembre dernier. Mais les délais judiciaires faisant, le médiateur n’a rencontré les deux parties séparément qu’en mars. La procédure doit durer encore, et tant qu’elle court les 70 personnes du terrain sont en sursis.
« Plutôt que d’attendre en serrant les dents, on s’est dit qu’on allait proposer un vrai projet valorisant à la fois les familles et l’œuvre… et permettant de créer un espace de rencontre », explique Aurélia Becuwe, Rézéenne à l’origine du collectif Arta Vs Om et qui suit les familles depuis leur arrivée sur sa commune il y a trois ans. Cette militante qui a fait des études d’art a donc mobilisé son réseau pour rédiger des textes de présentation du Pendule dans plusieurs langues et mettre au point une plaquette. Le tout a été envoyé au médiateur et à Jean Blaise, le « patron » du Voyage à Nantes comme l’appelle les familles roms, accompagné d’une lettre bien tournée. En retour, ce dernier aurait fait savoir au collectif Arta Vs Om son intention de venir voir lui-même sur place.
Terrain d’entente
Le Voyage à Nantes a indiqué au Canard social qu’il ne communiquerait qu’après la prochaine grosse étape de la médiation judiciaire : la réunion tripartite qui doit avoir lieu le 19 avril. On présume que Jean Blaise aurait sûrement bien aimé que les familles puissent partir avant le début du festival du Voyage à Nantes le 15 juin prochain. « Mais on ne partira que si on nous propose de bouger sur un terrain fixe », assure Ion Iordan, pendant que sa fille nettoie la plaque de présentation de l’œuvre vissée au sol. Un sol bétonné, de l’électricité, des sanitaires et des enfants scolarisés, pas question de tout lâcher pour l’ombre.
« Le but n’est pas du tout d’aller au frontal mais bien de trouver une solution commune. Les enfants doivent finir leur année scolaire et nous voulons aller jusqu’au bout de la procédure de médiation », précise Aurélia Becuwe. La procédure est rare (ce serait la deuxième fois seulement dans l’agglomération, après une première au Sorinières). Le médiateur aurait demandé des informations sur les expériences réussies de terrains conventionnés. Les militants veulent y voir un signe favorable. Ils espèrent qu’un terrain d’entente sera trouvé, au sens propre comme au sens figuré, avec la participation de la mairie de Rezé. Et que le résultat de cette « conjoncture miraculeuse » autour du pendule pourra faire jurisprudence.
L’art n’est pas neutre
C’est comme si le Pendule prenait tout son sens. « Ce pendule censé battre le temps qui exonérablement détruit tout.. au contraire n’a rien détruit mais à permis depuis un an aux familles de se poser et de construire », commente Aurélia Becuwe. Il est lié aux familles par un cordon ombilical, à l’image symbolique du premier fil électrique qui a été tiré entre lui et les familles pour leur donner du courant. Il a arrêté depuis pour elle le cycle infernal des expulsions, a permis qu’elles tissent des liens avec leurs voisins trentemousins. Si Le Voyage à Nantes accepte de contractualiser un arrangement pour mettre en place ce projet culturel avec les familles, le Pendule deviendrait officiellement une œuvre engagée. Des arguments dans le sens des convictions du Voyage à Nantes ?
Armandine Penna