Le social et la politique : officiellement les assos sont neutres. Mais elles n'en pensent pas moins (photo : archive LCS).
Où vont aller les bulletins de vote des professionnels et administrateurs du secteur social ? « Nous sommes apolitiques et faisons campagne pour personne », disent à l’unisson les têtes de réseau qui ont pignon sur rue en Pays de la Loire. Mais comment peut-on être neutre alors qu’on intervient sur des sujets éminents politiques comme la lutte contre l’exclusion, le handicap ou la solidarité au sens large ? « Le handicap touche toutes les couches de la société, précise Dominique Moreau, le président de l’ADAPEI 44. Parmi nos administrateurs, il y a un vigneron, un chef d’entreprise, un ouvrier métallurgiste… Chacun a ses convictions mais chacun garde aussi sa « pudeur » parce que notre force est de réunir des personnes d’horizons très différents. Le recul vis à vis des pouvoirs publics est inscrit dans nos gênes. »
« Ne pas être la succursale d’un parti »
Même son de cloche de neutralité apparente à l’APF : « Notre objectif, assure Grégoire Charmois le délégué pour la Loire-Atlantique et la Vendée, n’est pas d’être la succursale d’un parti. Car notre mission c’est de représenter les personnes handicapées et leurs familles, pas des courants politiques. Notre stratégie, c’est d’être une association de transformation sociale qui parle à tout le monde et ça, c’est très politique. Par contre, nous ne sommes pas une association « cocktail Molotov » qui se contente de ne faire que des revendications auprès d’untel. »
Les acteurs de la lutte contre l’exclusion ne disent pas autre chose, lorsque Jocelyn Leclerc, le délégué de la FNARS en Pays de la Loire, indique que sa fédération « n’appelle pas à voter pour ou contre tel ou tel candidat parce que la finalité est d’améliorer les conditions d’accueil et les conditions de vie des personnes exclues. C’est pour cela que nous acceptons la co-construction des politiques avec les pouvoirs publics, quels qu’ils soient, au niveau local et national. » Ces dernières années on a tout de même vu circuler beaucoup de communiqués de la FNARS dénonçant des choix politiques et des discours du gouvernement de droite et des figures de la majorité sur les allocataires du RSA, sur les sans abri ou sur les étrangers… « La FNARS continuera de dénoncer les politiques sociales qui ne vont pas dans le bon sens, qu’elles soient portées par la droite ou par la gauche. »
Le Front national, écarté
Mais d’où vient cette impression d’hypocrisie ressentie auprès des mouvements associatifs sur la neutralité ? Peut-être de leur posture vis à vis du Front National. Tour à tour, chacun a organisé son débat, sa rencontre, son interpellation des candidats ou de leurs représentants politiques. Et les invitations lancées au FN sont… plus que rares. Exemple avec le débat de l’URIOPSS début avril à Nantes où seuls l’UMP, le PS, Les Verts et le Modem étaient invités. « On a fait le choix de n’inviter que les partis qui ont des parlementaires sur notre territoire, se défend Elie Charrier le président de l’URIOPSS. C’est subjectif, mais on a pris une position, celle de ne pas inviter le Front National parce que ces valeurs ne sont pas les nôtres. »
Idem du côté du COORACE qui « n’a pas ciblé le FN » lors de son congrès national fin 2011 à Marseille. « Mais il y a eu débat en interne sur ce sujet », précise Anne-Sophie Méliand Viot. L’APF a elle aussi eu une prise de position similaire en Loire-Atlantique : les adhérents sont allés aux meetings de tous les candidats venus faire campagne dans la région nantaise. Un tour chez Mélenchon, chez Sarkozy, chez Joly… Mais personne chez Le Pen. « Pour un parti qui prône l’exclusion de certains, c’est incompatible de défendre une société ouverte à tous, comme le fait l’APF », estime Grégoire Charmois. Au niveau national, l’APF a toutefois décidé de rencontrer des représentants de Marine Le Pen dans son QG de campagne. Lors de son congrès national début 2012 à Nantes, la FNARS ne s’est pas non plus distinguée dans cette logique de mise à l’écart du parti frontiste : « Inviter des candidats qui appellent à la discrimination et la ségrégation, pour nous, c’est non ».
Un désir d’alternance ? « C’est clair »
On l’a bien compris, à part le front commun contre Marine Le Pen, il n’y a donc pas de consignes de vote officielles. Mais sait-on vers quel candidat irait la préférence des professionnels et les bénévoles du secteur social ? Il n’existe pas de sondage spécifique au vote des travailleurs sociaux ou des acteurs du médico social, mais on sent bien que les personnalités de gauche ont d’avantage la cote auprès de ceux qui sont en prise avec les questions de précarité. Un peu mal à l’aise pour répondre sans mettre ses adhérents dans l’embarras, Jocelyn Leclerc (FNARS) avance avec langue de bois que « l’ultralibéralisme ne profite pas aux plus faibles. » Avant de préciser : « Aujourd’hui, on a un gouvernement qui n’entend pas beaucoup les besoins de nos publics. »
Et les adhérents du COORACE qui interviennent dans l’insertion et l’économie sociale et solidaire, ils ont plutôt le cœur à gauche, non ? « Oui, répond Anne-Sophie Méliand Viot. Il y a une envie de changement, mais ce n’est pas exprimé clairement dans notre réseau. On est sur du débat politique, pas du débat politicien. » A l’URIOPPS, Elie Charrier estime quant à lui qu’ « il y a un désir d’alternance. C’est clair, on le ressent bien. Mais n’oublions pas que c’est sous des gouvernements de droite que de bonnes lois ont été votées, comme celle de 2005 sur le handicap. » Dans un commentaire tout en nuances, le président de l’ADAPEI 44, Dominique Moreau évoque lui aussi « la loi fondamentale de 2005, l’augmentation de l’AAH qui ne rend personne insensible et les avancées sur la scolarisation des personnes handicapées. Mais il y a aussi des déceptions sur les moyens réellement mis en œuvre. »
Entre dénonciation, interpellation et sensibilisation, les têtes de réseau ont encore du chemin à faire avec leurs postures d’équilibristes. Après la présidentielle, les associations vont s’attaquer à la tournée des parlementaires. Et là, ce n’est plus dix candidats qui seront courtisés et scrutés à la loupe, mais plusieurs centaines. « On est prêts pour le lobbying auprès des futurs députés, prévient Grégoire Charmois de l’APF. Nos adhérents sont plus que jamais remontés, ils sont les oubliés d’une campagne présidentielle qui n’a pas abordé la solidarité. »
Frédéric Lossent