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Les « pauvres » veulent
prendre le pouvoir !
Publié le 30/05/2012
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Les usagers des structures d’hébergement prennent la parole à travers des instances consultatives. En tant qu’ «experts du vécu», ils cherchent à influer sur les professionnels et les décideurs publics. Reportage lors du dernier Conseil consultatif régional des personnes accueillies (CCRPA) qui avait lieu la semaine dernière à Morlaix dans le Finistère.



Le 24 mai à Morlaix, lors du Conseil consultatif des personnes accueillies (photo : F. Lossent)

Ils sont venus des quatre départements bretons, certains en curieux, d’autres en véritables « experts du vécu » : 80 usagers accompagnés de quelques travailleurs sociaux étaient réunis le 24 mai pour le 3e CCRPA de Bretagne sur un des sites de la Fondation Massé Trévidy à Morlaix. Au menu, des prises de paroles, des réflexions et des revendications sur le thème de l’hébergement d’urgence. Le Conseil consultatif régional des personnes accueillies est une déclinaison d’un comité national mis en place en 2010 dans le cadre du chantier de la « refondation ». Dans le jargon, on parle de participation des usagers… Mais sur le terrain à Morlaix, on entend beaucoup parler d’expression directe, de représentation politique et de « prise de pouvoir ».

« Révolte constructive »

« On est là pour faire des propositions à partir de notre propre expérience », lance David Berthellemy. Après 14 ans de rue, ce trentenaire a bourlingué un peu partout en France avant de poser son sac dans un appartement à Rennes, accompagné par une association. Et c’est en « un révolté de nature » qu’il assume son rôle de porte voix des exclus depuis septembre dernier : « Il faut être dans la révolte constructive pour améliorer le système. »

Avec d’autres exclus, il s’est retrouvé dans des réunions avec des parlementaires à l’Assemblée nationale. Il a pris la parole lors du congrès de la FNARS en janvier à Nantes. Et il a rencontré plusieurs fois Benoist Apparu, l’ancien secrétaire d’État au Logement, et « ses bras droits » pour obtenir des avancées sur « la mixité sociale, le logement adapté et l’accompagnement social de qualité ». En revanche, d’autres revendications qu’il a défendues n’ont pour l’instant pas rencontré d’échos favorables : les amendes de la loi SRU reversées aux associations, la tolérance des squats en autogestion ou les sanctions pour les propriétaires de logements aux loyers trop chers. « Tout ce qui est directement lié à l’argent n’a pas été retenu. »


​Parmi les sujets qui fâchent dans les CHRS : l'ivresse, l'hygiène, la sécurité


« Dans les CHRS, c’est le grand foutoir »

Lors de ces réunions « au sommet », David le Rennais a souvent croisé Roland Aubin, un autre représentant d’usagers. A 59 ans, il vit au Havre après être passé par la case CHRS : « Ça n’a duré que trois semaines… Mais quand j’ai vu qu’on dirigeait les gars comme des gosses, ça m’a scandalisé ! Le règlement intérieur des CHRS, c’est pire que celui des prisons : pas de visites, pas de droit à la sexualité, pas d’animaux, pas d’alcool. On mélange les gamins avec les anciens, les buveurs avec les abstinents. C’est le grand foutoir. »

Comme en témoignent les représentants d’exclus, ce n’est pas facile de porter une parole et un regard d’usager auprès des ministres… Mais ça s’apprend. « Quand vous parlez à un ministre, il y a toujours 3 ou 4 conseillers qui sont là et ça peut être intimidant, confie Roland Aubin. Et quand vous ne connaissez pas les textes et les circulaires, vous vous faîtes endormir facilement. Mais il faut s’informer et il faut insister : si ça ne rentre pas par la porte, il faut passer par la fenêtre ! Faut reconnaître que Benoist Apparu était un ministre plutôt ouvert, et pour avoir rencontré Cécile Duflot lors d’une première approche, je pense qu’elle va marcher dans ses pas… Sauf sur la gestion hivernale où elle a promis de s’adapter à la demande plutôt qu’au thermomètre. »


Les usagers bretons ont élu 8 représentants, 4 par département


« Ça percute le travail social »

Les responsables politiques ne sont pas les seuls à être visés par les interpellations, les professionnels le sont aussi. Ils ne décident pas des politiques publiques, mais ce sont eux qui sont en première ligne pour les mettre en pratique. Et ils sont souvent la cible de vives critiques : pas très accueillants en structure d’urgence, trop intrusifs, trop distants, parfois démobilisés… « Ce n’est pas toujours tendre, ça percute le travail social, mais ces remises en question nous font du bien, reconnaît Joëlle Queguiner, éducatrice spécialisée dans le foyer de la Fondation Massé Trévidy à Morlaix. C’est vrai que c’est plus simple et plus rapide de s’enfermer dans son bureau pour gérer un contrat de séjour et des objectifs. Mais ce n’est pas comme ça qu’on améliore le parcours de la personne. »

L’implication au sein des instances consultatives a également des effets indirects sur l’accompagnement social. Ainsi Jean-Philippe Abgrall, un autre usager du Finistère, se sent « regonflé » depuis qu’il siège au conseil national : « Avant les SDF étaient cachés, alors bien sûr le fait d’être reconnu, c’est une petite révolution dans les mentalités. On voudrait aller plus loin en étant codécideur et pas seulement consulté, mais ça fait déjà du bien de voir que nos droits sont élargis. » David Berthellemy y voit également un bon levier de valorisation : « Moi qui suis ancien toxicomane et ancien alcoolique, j’ai aujourd’hui plus de confiance en moi, plus de motivation et plus de contacts à tous les niveaux… Et puis porter la parole des autres, c’est quelque chose quand même ! »


​Alain Zlotkowski compte porter sa voix et celle de ses "compagnons d'infortune"


Le 24 mai à Morlaix, les usagers bretons ont élu leurs huit nouveaux représentants pour une durée d’un an. Parmi eux, Alain Zlotkowski qui vit actuellement en Ille-et-Villaine. Il a fait « campagne » sur ces thèmes : « Je n’ai pas l’intention de passer ma vie dans la précarité mais je me présente pour me faire entendre et faire entendre mes compagnons d’infortune. Pas pour aller à des réunions pour le plaisir de se rencontrer, mais pour faire réellement avancer les choses. Les politiques et les travailleurs sociaux ne me font pas peur. Sachez que je sais comment caresser dans le sens du poil… Sans lécher la crinière. » Comme une terrible envie de partager le pouvoir, sans concession.

Frédéric Lossent