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La méthode Épide : de la mise au pas
à la mise en confiance
Publié le 21/01/2013
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entretien
réinsertion
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épide
Combrée
décrocheur
Ministère Défense
pédagogie
militaire

Après une trentaine d’années dans les armées, Annick Reto est restée 4 ans à la tête de l’Épide* de Combrée (49), centre d'insertion pour “décrocheurs”, mis en place par le ministère de la Défense. Elle revient sur l’originalité et les évolutions de la pédagogie de l’Épide, où elle dit avoir appris énormément de choses en accompagnant ces jeunes (lire aussi notre reportage auprès d'une Épidienne).



Après avoir quitté la direction de l'Épide pour aller vers d'autres aventures, Annick Réto nous explique tout ce qu'elle y a compris, notamment en terme de pédagogie (photo : A.Penna).

Le Canard social : Beaucoup pensent que les Épides ont une méthode militaire…

Annick Reto : Il y en a, en effet, qui viennent voir et cherchent tout ce qui est militaire, mais la façon dont on travaille est très éloignée d’une caserne.

Pour comprendre d’où vient l’Épide, qui se compose en fait de 20 établissements d’insertion répartis en France, il faut revenir en arrière.
L’Épide a été créé en 2005 par la ministre de la Défense de l’époque Michèle Alliot-Marie, suite à des violences dans des cités parisiennes. L’idée de départ est bien soufflée par un militaire : accueillir en priorité des jeunes des zones urbaines sensibles, avec pour modèle de base les régiments qui existent dans les DOM-TOM, qui proposent aux jeunes en service militaire d’apprendre un métier.

A ce moment, le ministère de la Défense veut aller vite, il est dans l’urgence et aussi en affichage politique. Le premier centre est ouvert un mois seulement plus tard. Comme personnel encadrant, on recrute à la fois des anciens militaires pour la discipline et le sens de la collectivité, mais aussi des travailleurs sociaux ou issus d’entreprises, qui apportent d’autres cultures.

LCS : Et quelle forme ont pris ces Épides ?

Annick Reto : Au départ, il y avait une certaine méconnaissance de la population accompagnée : ces jeunes au point mort, sans diplôme, sans qualification, sans emploi.

Et peu à peu , on s’est aperçu que ces jeunes sont en fait cassés par la vie. Ils ont décroché de l’école car ils étaient confrontés à un problème « environnemental ». Ils n’arrivent pas à démarrer dans la vie car ils son bloqués par des freins sociaux, psychologiques, de santé… bref, on découvre qu’il y a de multiple problématiques à prendre en compte.

En fait, la création « au culot » a permis à l’Épide d’exister, et comme il était imparfait, il n’a cessé d’évoluer avec la réalité du terrain, comme une vaste éprouvette. Pas comme à l’armée où on met tout le monde au pas et hop, là il a fallu s’adapter.

LCS : Qu’est-ce qui a donc changé ?

Annick Reto : Tout ! L’organisation, la pédagogie qui s’est construite au fur et à mesure que les jeunes reprenaient confiance et redevaient acteurs de leurs parcours, et notre regard. Aujourd’hui, l’ Épide n’a rien à voir avec celui du début. D’ailleurs il a désormais trois ministères de tutelle, la Défense mais aussi l’Emploi et la Ville, et n’est plus financé que par ces deux derniers.

LCS : Quel profil ont les jeunes et par qui sont-ils orientés ?

Annick Reto : La plupart des jeunes ont entre 18 et 20 ans et sont volontaires, c’est une notion importante. Il y a aussi quelques mineurs délinquants de la Proteciton judiciaire de la jeunesse, eux aussi volontaires. Dans tous les cas, on se base sur la capacité du jeune à vouloir s’en sortir. Il faut arrêter de les regarder comme des délinquants.

Certains ont été informés lors des journées défense et citoyenneté. En outre, un gros travail d’orientation est fait par les missions locales. Mais le bouche à oreilles fonctionne aussi très bien, entre fratrie ou copains : 35 % des inscriptions se font directement par internet.

75 jeunes en moyenne sur l’année passent à l’Épide en flux continu. Ils viennent pour un premier « contrat » de 8 mois, mais peuvent partir avant ou au contraire prolonger. Ils arrivent de Laval, Le Mans, Rennes et surtout Angers et Nantes… en bus jusqu’à Combrée. Nous sommes installés sur le site d’un ancien collège privé. Nous sommes excentrés et en même temps au centre. L’avantage de la campagne est qu’elle coupe les jeunes de leur milieu.

LCS : Quel est l’originalité de l’accompagnement proposé ?

Annick Reto : Un accompagnement global. On prend tout en même temps pour arriver à quelque chose de cohérent et à un projet professionnel qui corresponde à leur réalité. Via des ateliers, des stages et des temps de suivi, on les aide à travailler à la fois sur leur compétences sociales (se lever, accepter l’autorité, les autres…), scolaires, à étaler leurs dettes, à être mobiles…

De plus,  on essaye de créer un réseau entre les « Épidiens », avec un sentiment d’appartenance. Quand ils arrivent, ils revêtent l’uniforme, certes d’inspiration militaire mais qui efface les préjugés et met tout le monde à égalité : c’est un peu le maillot de l’équipe.  Quant aux cheveux, on leur demande une coupe non pénalisante pour un employeur. Cela fixe des règles internes. Et quans ils repartent ils peuvent remettre leurs piercings.

LCS : Quels sont les leviers pour les faire raccrocher ?

Annick Reto :

D’abord le regard : il faut leur faire confiance.

Ensuite la parole : les aider à verbaliser, exprimer. Certains sont dans le passage à l’acte, la provocation, l’insulte. C’est l’expression d’une souffrance. Il faut amener le jeune à réfléchir sur sa blessure, à interroger son passage à l’acte, d’où des ateliers d’expression artistique.

Enfin la loi, le règlement : il leur faut un cadre et une relation. La plupart de ces jeunes n’ont pas eu de cadre familial, d’autorité, de « non ». Mais il faut donner un sens à ce cadre, faire de la pédagogie et de la communication. Le but n’est pas la soumission et l’obéissance militaire mais une communication empathique pour amener le jeune à s’interroger sur ses incohérences.

Propos recueillis par Armandine Penna

*Établissements publics d’insertion de la Défense

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