S'identifier


Mot de pase oublié ?
s'abonner
Professionnels, structures, particuliers
Abonnez-vous!
«Faites-moi tomber,
je deviendrai une warrior !»
Publié le 21/01/2013
partage

tags
reportage
insertion
établissement
jeunes
épide
deuxième chance
Combrée
décrocheur
défense
uniforme

75 jeunes “décrocheurs” scolaires passent chaque année à l’Épide* de Combrée (49), au beau milieu de la campagne. Entre discipline et échanges, cet établissement de réinsertion les aide à reprendre en main leur vie (lire aussi notre entretien sur la pédagogie des Épides). Le Canard Social a passé une journée sur place avec une épidienne motivée. Au-delà de l’uniforme…




Au centre, Telly Dion est l'une des jeunes en parcours de réinsertion au sein de l'Épide de Combrée, centre de la deuxième chance mis en place par le ministère de la défense. Un établissement aux méthodes qui lui conviennent (photos : A. Penna).


Un matin pluvieux à l’Épide de Combrée. Un petit groupe aux cheveux rangés mais à la langue impertinente, essaie de se concentrer en atelier « apprendre à gérer son budget ». Au milieu des garçons, Telly Dion, 20 ans, s’arrache les tresses sur la résolution d’un exercice de la vie réelle. « Calculez le smic net sachant que le smic brut est de 1425,27 euros ». « Du peu qu’il reste en net », la conversation glisse sur la mise en cause de « ceux qui profitent sans travailler ». Telly, lucide, regarde en silence les garçons s’animer. Elle sait bien pourquoi, elle comme eux, ont atterri ici…

« Faire quoi de ma vie ? »

Décrocheuse, un peu glandeuse, vraiment soucieuse. Avant d’arriver à l’Épide de Combrée, la jeune fille zonait dans son quartier d’Angers. « Je ne savais pas trop quoi faire de ma vie. » L’école, c’était pas son truc, elle l’a quittée après avoir loupé son BEP cuisine. Elle n’a alors rien en poche, mais un rêve lui trotte dans la tête depuis qu’elle a admiré l’uniforme de ses oncles, militaires au Sénégal : « J’ai bloqué, je voulais faire moi aussi ce métier, mais je n’avais pas confiance en moi. » Après plus d’un an « à rien foutre », elle vit l’anniversaire de ses dix huit ans comme « une baffe ». « Je me suis réveillée en me disant : je vais faire quoi de ma vie ? » Quelqu’un lui parle de l’Épide, elle s’inscrit pour une deuxième chance.



« Ma vie a changé grave »

« Ma vie a changé grave. » Debout à 6 heures du matin. Trois quart d’heures quotidiens de footing autour du plan d’eau de Combrée et du sport collectif. Un chambre spartiate partagée avec une autre fille. Des temps pour apprendre à lire, écrire, compter, gérer son budget ou encore son comportement. Mais aussi des ateliers slam où elle joue avec les mots pour exprimer ses sentiments (voir la vidéo en bas de l’article). Et un suivi très personnalisé qui l’aide à construire petit à petit, de stage en démarche, un projet professionnel.

« Quand je rentre chez moi à la fin de la semaine je suis fière, j’ai des choses à raconter à ma mère ! », glisse avec enthousiasme la jeune fille. Elle est assise dans le coin de la cour où les jeunes traînent et fument entre deux ateliers, au pied d’une grande fresque peinte à la bombe. En bas parmi d’autres, on peut lire sa signature.

« Le cadre me rassure »

La sonnerie retentit, vestige du temps où le site était un collège privé. 13 heures. Telly rejoint les autres Épidiens en uniformes, cette fois au pied du drapeau tricolore. Garçons et filles (en minorité) s’alignent au garde-à-vous, écoutent les instructions puis repartent vers leurs activités. Telly ne remet pas en cause la discipline qu’on lui impose, encore moins le port d’un uniforme, elle qui en a rêvé. « Le cadre me rassure, c’est ce que je cherchais. » Elle y trouve un sens, pour peu qu’on l’aide à le comprendre et à s’y adapter.

D’ailleurs, elle est prête à continuer à porter l’uniforme une fois sortie de l’Épide. Elle veut devenir gendarme, encouragée notamment par son référent Éric Edouard, gendarme de réserve. « Tu as la capacité de réussir mais il faut que tu fasses attention à côtoyer les bonnes personnes : celles qui te font avancer et non reculer », lui répète-t-il lors d’un point de situation sur son projet et son comportement. « Je sens quand un jeune a la gnac. Elle est motivée, mais elle a besoin d’être valorisée et de se prendre en main pour évoluer », analyse-t-il en aparté. Il sait de quoi il parle, lui aussi a quitté l’école à 16 ans. Prochaines étapes : passer sa PMG (préparation au métier de gendarme), 2 semaines de stage concret, puis le concours d’entrée dans une brigade.

« Ici, on me dit que je suis capable »

En attendant, voilà « mademoiselle Dion » (à L’Épide, les jeunes ne sont jamais tutoyés ni appelés par leurs prénoms) dans un atelier de « remédiation collective » sur le thème « estime de soi ». Cela fait forcément écho en elle. « Ici, on me dit que je suis capable, ça fait du bien ». Sylvie Crech’Hmine , directrice de formation et animatrice de ce temps d’échanges très vivant, invite chacun à réfléchir au regard qu’il porte sur lui-même. « La seule vision juste : celle que VOUS avez de vous… si elle est honnête, c’est à dire avec vos qualités et vos défauts », essaie de faire comprendre la formatrice, à l’écoute de ces jeunes et de leurs histoires. « Il faut comprendre comment ça marche, comment équilibrer son estime de soi, pour pouvoir mettre ensuite en place les outils bon pour chacun d’entre vous.»


« Ça va se déboucher »

De retour dans la cour au pied de la fresque, Telly avoue qu’elle a encore du mal à accepter les reproches mais assure travailler sur elle. Certains de ses camarade ne sont pas restés à l’Épide. Elle y avance, recule, se frotte parfois aux autres, aux encadrants, mais s’apaise et s’accroche. « J’avance doucement mais sûrement vers mon projet. Je sais que je vais y arriver, que ça va se déboucher. Je fais tout pour. » Autour de ce monde clos qui est pour quelque mois son quotidien, elle n’a pour l’instant que la campagne de Combrée pour horizon. Où qu’elle aille après, cette rupture lui aura en tout donné envie de se battre pour raccrocher. Comme elle le chante dans un slam :

« Moi je dis, dans la vie rien n’est acquis,
même après des mois et des années, il faut tomber plusieurs fois pour à chaque fois se relever.
Toujours plus haut, toujours plus fort,
faites-moi tomber, je deviendrai une warrior ! »

Armandine Penna

*Établissement public d'insertion de la Défense



newsletter
facebook