Au 6ème jour d’audience du procès de l’affaire Marina, 6 agents du Conseil général de la Sarthe ont été interrogés par les avocats des 4 associations partie civiles sur ce qu’ils avaient fait pour protéger l’enfant (photo : A. Penna).
Ils n’étaient entendus que comme témoins. Mais ils ont été interrogés comme des accusés. Six agents du Conseil général de la Sarthe en lien avec l’aide sociale à l’enfance étaient appelés à la barre pour s’expliquer sur le suivi social de la famille Sabatier-Darras entre mai et septembre 2009, alors que la famille vit à Ecommoy après un 5ème déménagement en 2 ans.
C’est cet été là que les actes de maltraitance des parents sur leur fille aînée, qui durent depuis plusieurs années, vont entraîner sa mort alors qu’elle est âgée de huit ans et demi. D’où la question au centre de ce sixième jour d’audience : comment une enfant aussi souvent absente de l’école, régulièrement couverte de bleus et au visage déformé à force de coups a-t-elle pu passer entre les mailles du filet de la protection de l’enfance ?
Défaillances ?
En interrogeant les agents qui en avaient la charge, les avocats des 4 associations de défense des intérêts de l’enfant parties civiles dans cette affaire, ont cherché à mettre à jour des défaillances administratives mais aussi humaines. « Si on n’admet pas les dysfonctionnements, on ne peut améliorer le fonctionnement des institutions pour que de tels faits ne se reproduisent pas », explique en dehors de la salle Maître Francis Szpiner, avocat de l’association la Voix de l’enfant, tout en reconnaissant que ce procès n’est pas celui des institutions mais bien celui des accusés ». Alors que défilent face à la cour les 6 agents situés à différents échelons de la hiérarchie de l’aide sociale à l’enfance, les avocats des associations tentent de les pousser dans leurs retranchements.
Pas de saisie du parquet ?
C’est d’abord l’attachée territoriale de secteur de l’ASE qui reste longtemps sous le feu de leurs questions. Elle se voit reprocher de ne pas avoir lancé une procédure d’évaluation sociale de la famille alors que suite à une première série de signalements des instituteurs en 2008 - suivis d’une audition de Marina par la gendarmerie et d’une visite médicale - l’investigation du parquet abouti à un classement sans suite en octobre 2008 faute « d’éléments caractérisés suffisants ». Le président de la cour Denis Roucou prend la parole pour enfoncer le clou : « malgré ce classement au niveau pénal et même si le parquet ne vous l’avez pas demandé, au nom de la protection de l’enfance et au vu des éléments préoccupants, rien ne vous interdisait d’évaluer socialement si il y avait danger pour l’enfant.»
Ce n’est que suite à une nouvelle série d’informations préoccupantes transmises par la nouvelle école de Marina en mai 2009 et celle transmise par l’hôpital du Mans où la fillette est prise en charge plusieurs semaines à la même époque, que l’attachée territoriale du Pôle enfance en danger (devenu en 2010 cellule du traitement des informations préoccupantes) décide de commander une enquête d’évaluation sociale aux services sociaux de la circonscription d’Ecommoy. Cette fois, Maître Francis Szpiner lui reproche en colère : « Pourquoi n’avez vous pas décidé de saisir le parquet comme vous le permet votre mission ? Votre service était le seul à tout avoir entre les mains .» La fonctionnaire argumente calmement : « On lit différemment le dossier à posteriori. Mais il n’y avait que des suspicions et non des éléments de danger avérés. J’ai agi au vu des éléments en ma possession dans le cadre de la loi de 2007 réformant la protection sociale. »
Manque de dilligence ?
L’assistante sociale polyvalente de secteur et la puéricultrice de la PMI (protection maternelle infantile) se succèdent ensuite au micro pour raconter leur première visite dans le cadre de cette évaluation sociale. Lorsqu’elles se rendent au domicile le 17 juin 2008, « les enfants sont bien habillés et la maison bien rangée, marina a des chaussures neuves, tout le monde a l’air détendu », raconte l’assistante sociale tout en avouant une impression de mise en scène, de manipulation. L’évaluation sociale suit son long cour, parallèlement les rendez-vous médicaux peinent à se mettre en place. La seconde visite chez les Sabatier-Darras n’aura lieu que fin août, soient deux mois plus tard, sans pouvoir voir Marina soi-disant « au parc d’attraction ». Puis une nouvelle tentative a lieu début septembre. « Je n’ai pas peur de personne », lâche alors le père Eric Sabatier en annonçant un nouveau déménagement. L’assistante sociale explique son malaise : « J’ai senti à leur attitude que quelque chose s’était passé ». Marina est déjà morte.
Les déménagements fréquents de cette famille qualifiée de « savonnette » sont-ils une explication à la difficulté de suivi ? Pourtant entre 2008 et 2009, la famille était restée dans la Sarthe. Le président de la cour d’Assise Denis Roucou lui-même pense que la transmission des informations aurait pu se faire plus rapidement : «Il y a eu vraiment un problème de coordination entre l’école, l’hôpital et les services sociaux. La famille n’était pas partie bien loin.»
Carcan administratif ?
Les avocats des parties civiles répètent inlassablement les mêmes questions au responsable du service social de secteur et à la responsable de service de l’ASE. « Pensez vous qu’il n’y a eu aucun dysfonctionnement, que vos services n'ont rien à se reprocher ? Que les éléments n’étaient pas suffisants pour une procédure diligente de prévention ? » martèle maitre Rodolphe Constantino, l’avocat de l’association Innocence en danger. Les parties civiles veulent interpeller des être humains touchés dans leur sentiments mais se retrouvent face à des agents administratifs, qui leur répondent avoir agi dans le cadre de leur missions et conformément à la loi.
Cette ligne de défense énerve Maitre Spizner : « J'ai le sentiment désagréable que chaque fois que quelqu’un du CG est à la barre, il est arrêté dans l’expression de ses sentiments par un cadre qui lui a été fixé ». Il a présenté plus tôt la note de soutien aux agents signé le 7 juin par Jean-Marie Geveaux, le président du Conseil général, et révélée en ce lundi d’audience par Ouest France. L’avocat de la partie civile fait aussi mention plusieurs fois de la réunion de préparation de ces auditions qui a eu lieu au CG.
Pour maître Rodolphe Constantino, c’est « cette enferment dans les protocoles et le carcan administratif qui a entrainé une mauvaise appréciation de l’administration et l’a empêché d’agir correctement et urgemment. » Contrairement aux instituteurs qui selon les associations auraient eux agit en "bons pères de familles", n'hésitant pas à contourner la pratique habituelle pour être efficaces.
Leçons tirées ?
« Et après, qu’est-ce qui a changé ? » ont aussi demandé avec insistance les parties civiles aux témoins. C’est au tour du directeur adjoint du service des solidarités du Conseil général de venir défendre ses équipes « qui ont respecté la loi de 2007.» Il confirme qu’un rapport écrit avec des recommandations pour une organisation plus efficace a bien été produit à la suite de cette affaire. Les avocats des parties civiles s’étonnent que ce document n’ait pas encore été transmis à la cour. « En matière de protection de l’enfance, il y a toujours un risque dans la décision à prendre », dit en préliminaire le directeur adjoint des solidarités, comme l’avait rappelé l’ANAS (association nationale des assistants de service social) dans son courrier de soutien adressé aux agents du CG avant le procès. Puis le fonctionnaire le plus haut dans la hiérarchie à passer à la barre, finit par conclure : « nous sommes tous responsables, aussi bien les professionnels que les voisins.»
Les associations de défense des intérêts de l’enfant ne comptent pas s’arrêter là. Elles disent envisager de porter plainte conjointement contre les services sociaux de la Sarthe avant la limite de la prescription de trois ans.
Armandine Penna