Laurent Laïk est président du Conseil national des entreprises d'insertion. Avec d'autres acteurs de l'IAE, il sort d'une rencontre le 25 juillet avec Michel Sapin, le ministre du travail (photos : LCS / CNEI).
Le Canard Social : Vous étiez hier dans le bureau de Michel Sapin, le ministre du Travail et de l’Emploi : quel était l’ordre du jour ?
Laurent Laïk : Nous voulions connaître l’ambition du ministre pour l’insertion par l’activité économique (IAE) et lui remettre le travail que nous avons fait en inter-réseaux. Il s’agit de notre plateforme qui porte un projet de développement pour passer de 300 000 à 500 000 emplois sur la mandature dans notre secteur.
Pour la première fois depuis toujours, 9 réseaux représentatifs de l’IAE sont d’accord pour développer un projet commun qui est porteur pour l’avenir et qui n’est pas court-termiste. Hier, nous avons parlé de 2 grands points. Il y a le temps de l’urgence : on a besoin de moyens et il faut le faire cet été, avant le mois de septembre. Et puis il y a le moyen terme dans le cadre de la conférence de lutte contre l’exclusion cet automne où on pourra remettre à plat notre projet global.
A l’issue de la rencontre d’hier, c’est un peu la déception : j’ai le sentiment que le ministre et ses conseillers ont du mal à se saisir de l’urgence dans laquelle nous sommes. Ils ont du mal à croire qu’on va mal alors qu’on porte un projet de développement ambitieux.
LCS : Pour le « temps de l’urgence », quelles sont vos attentes ?
Laurent Laïk : Concernant spécifiquement les entreprises d’insertion (EI) et les entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI), l’idée est d’obtenir plus de postes d’insertion et plus de postes d’accompagnement. Il faut tripler le nombre de postes ouverts et payer le juste prix de nos prestations : alors que le montant de l’aide au poste (9 681 euros, NDLR) n’a pas bougé depuis 1998, nous demandons une revalorisation à 12 500 euros.
Pour les autres acteurs de l’IAE, l’objectif est d’obtenir des contrats aidés pour les ateliers et chantiers d’insertion (ACI). Et pour les associations intermédiaires (AI), l’idée est d’obtenir une aide forfaitaire plancher.
LCS : Les entreprises d’insertion se disent fragilisées par la hausse du SMIC au 1er juillet. Le ministre vous a-t-il entendu sur ce point ?
Laurent Laïk : On a rencontré un ministre à l’écoute, on sent qu’il y a une certaine adhésion à ce que nous faisons. En revanche, on n’a obtenu aucune réponse concrète quand on dit que « ça va mal ». La solution du gouvernement, ce sont les 150 000 emplois d’avenir, il veut mettre le paquet sur cette mesure… Alors qu’on attendait un signe en terme de communication et en terme de moyens. Le rendez-vous d’hier nous a laissé un peu sur notre faim. On ne demande pas plus d’argent public, mais on dit qu’il y a des choix politiques à faire.
LCS : Quels sont vos arguments pour convaincre le gouvernement ?
Laurent Laïk : On est capable de faire beaucoup mieux et d’être une bonne solution pour l’emploi, mais il y a plusieurs conditions : mieux utiliser les clauses d’insertion dans les marchés publics ; développer les passerelles avec les entreprises, notamment celles du CAC 40 dans le cadre des logiques RSE ; mieux flécher les fonds de formation professionnelle ; utiliser autrement les fonds européens au titre de l’inclusion sociale ; flécher aussi les outils de la finance solidaire vers nos dispositifs.
Enfin, nous voulons rénover complètement la gouvernance de notre secteur pour avoir une véritable gestion paritaire des fonds de l’État, de l’Europe et des collectivités locales. Je rappelle que ces mesures sont dans notre « pacte pour l’insertion et l’emploi » et qu’il a été signé notamment par François Hollande et Jean-Marc Ayrault.
LCS : Si les choses n’avancent pas beaucoup avec la puissance publique, qu’en est-il avec les milieux économiques ?
Laurent Laïk : Ce qui est paradoxal, c’est que nous avons gagné beaucoup d’implication ces dernières années de la part du monde de l’entreprise et de la finance. On est en effet passé d’une communication cosmétique à des actions concrètes avec les entreprises comme Vinci et beaucoup de PME également. On a aussi bien avancé dans le monde de la finance avec des fonds d’épargne salariale et solidaire comme celui de Schneider Electric.
Il faut signaler que tous ces acteurs, y compris les syndicats de salariés comme le CGT et la CFDT, ont compris que les acteurs de l’IAE sont source de création d’emploi et de développement. Mais pour le moment au niveau de l’État, ça ne bouge pas.
LCS : Quelles sont vos prochaines échéances de « lobbying » ?
Laurent Laïk : Nous sommes dans un pays où il y a un millefeuilles de dispositifs. C’est probablement cet empilage du millefeuilles social qui fait que nos politiques n’y voient pas très clair. Alors, dans nos actions auprès du gouvernement, nous allons faire remonter des dizaines de projets d’insertion qui sont en panne faute de moyens disponibles. Et puis, comme nous sommes en situation de quasi blocage avec la DGEFP (délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle) qui a tendance à couper les cheveux en quatre, nous attendons que l’administration soit aussi le relais d’une volonté politique.
Et puis, désormais, nous devons mobiliser aussi nos réseaux et les députés. Nous sommes en lien avec une centaine de députés qui comprennent bien nos dispositifs et peuvent nous soutenir. Nous devons beaucoup mobiliser autour de nous, car malheureusement, dans notre pays, c’est le rapport de force qui prime.
Propos recueillis par Frédéric Lossent